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L’ASTRONOMIE LATINE AU MOYEN ÂGE


més parmi les Arabes, les Espagnols ou les Latins, termine ce qu’il en dit par ces paroles[1] : « Nous croyons que Jean le Péripatéticien et Alfred, puis Alexandre, le mineur, et Albert de Cologne, le prêcheur, qui sont plus modernes, doivent être estimés philosophes éminents, mais qu’on ne les doit point tenir pour des autorités (nec tamen pro auctoribus habendos). »

Qui était Jean le Péripatéticien ? Nous l’ignorons. Peut-être un copiste inattentif a-t-il mis Jean au lieu de Nicolas. Alfred de Sereshel, traducteur et auteur de la fin du xiie siècle, est parfois cité par Bacon[2]. Mais ce ne sont pas ces deux premiers noms qui attirent notre attention ; ce sont les deux derniers. Dans ce que notre auteur dit d’Alexandre de Hales, le frère mineur, et d’Albert de Cologne, le frère prêcheur, comment ne pas reconnaître un écho atténué de la diatribe violente par laquelle Bacon, dans l’Opus minus, s’indignait de l’autorité que les écoles attribuaient à ces deux docteurs ?

D’ailleurs, en dépit des réserves qu’elle a posées, la Summa Philosophiæ porte témoignage de la vogue extraordinaire qu’avait alors Albert le Grand au sein des écoles ; elle le nomme[3] « Albertus Coloniensis theologorum modernorum famosissimus » ; elle cite maintes fois son nom et ses opinions.

Ce que la Somme dit de l’éternité du Monde contient également des allusions qu’il est intéressant de relever. Nous y lisons, d’abord, le passage suivant[4] :

« Quelques-uns des modernes qui s’occupent de philosophie prétendent que l’éternité du Monde ne peut être démontrée par aucun raisonnement certain, mais que, de la nouveauté du monde, on ne peut être persuadé, sinon par raisons qui sont seulement probables. Ces philosophes admettent [la possibilité d’] une éternité qui n’est pas la mesure de l’existence divine (celle-ci est l’éternité proprement dite), mais qui est un temps infini dans le passé aussi bien que dans l’avenir. Ils affirment que ce n’est pas là un véritable infini en soi, mais un infini par rapport à notre compréhension ou encore à notre intelligence. »

L’allusion est transparente ; nous reconnaissons la doctrine que Saint Thomas d’Aquin défendait avec ardeur « contra murmurantes. »

  1. Lincolniensis Summa, Cap. IVI ; éd. Baur, p. 280.
  2. Rogeri Bacon Communia naturalium, Pars I, dist. I, cap. II ; Bibl. Mazarine, ms, no 3676. fol. 2, col. c. ; éd. Steele, p. 7.
  3. Lincolniensis Summa, Cap. CLXXIX ; éd. Baur, p. 505.
  4. Lincolniensis Summa, Cap. CIX ; éd. Baur, p. 408.