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L’ASTRONOMIE DES FRANCISCAINS

Robert de Lincoln étant mort en 1253, cette date nous assure que l’œuvre ne peut être de lui. Que pouvons-nous deviner de l’auteur véritable ?

Il est un passage qui a sollicité l’attention de M. Baur[1] ; le voici[2] :

« Mon maître, qui était très expert en Sciences naturelles et mathématiques, très parfait en Théologie, très saint par sa vie et sa religion, a jugé que le Déluge avait nécessairement inondé le Monde, en la six-centième année de la vie de Noë, par l’effet d une telle constellation, et que, de toute éternité, Dieu avait préordonné de détruire les débauches du Monde passé par un déluge universel, au moyen d’une telle constellation. »

Quel était le maître dont l’auteur de la Somme de Philosophie parle avec une si grande vénération ? M. Baur fait justement remarquer qu’un langage tout semblable à celui qu’on prête ici à ce maître est tenu par Roger Bacon dans l’Opus majus : « Si nous considérons, dit Bacon[3], les opinions émises par Albumasar au livre Des conjonctions, nous voyons qu’il place le commencement du Monde et le premier homme, qui est Adam, et à partir de ce premier homme, il compte les années jusqu’au Déluge, et il marque le jour et l’heure où le Déluge a commencé ; puis, par les révolutions des planètes et par leurs conjonctions, il détermine les siècles suivants ».

Nous croyons que M. L. Baur a été bien inspiré en faisant ce rapprochement, et que le maître dont l’auteur de la Summa philosophiæ vante la science et la vertu n’est autre que Roger Bacon. Il n’est pas, peut-on dire, une seule des théories exposées dans la Somme faussement attribuée à Robert Grosse-Teste qui ne reflète clairement la pensée de Bacon. Comment lire, par exemple, les chapitres où, touchant la matière et la forme, cette Somme expose avec tant de force et d’étendue la doctrine d’Aviccbrou, sans songer à l’ample développement que Bacon donne à cette doctrine dans ses Communia naturalium ?

À côté de cette concordance générale entre la philosophie de la Somme et la philosophie de Bacon, concordance que nous aurons maintes fois à signaler, il est permis de relever des détails où se reconnaissent certaines pensées chères à ce dernier.

L’auteur de la Somme, parlant des philosophes les plus renom-

  1. L. Baur, Op. laud., p. 137.
  2. Lincolniensis Summa, cap. 242 ; éd. Baur, p. 589.
  3. Rogeri Bacon Opus majus, De necessitate Mathematicæ in divinis ; éd. Jebb, p. 118 (Cf. p. 121) ; éd. Bridges, vol. I, p. 189 (Cf. p. 193).