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L’ASTRONOMIE DES FRANCISCAINS


de l’excentrique qui est la plus éloignée de la Terre doit venir, au bout d’un certain temps, remplacer celle qui en reste la plus rapprochée, et inversement ; de même, en tournant le long de l’orbe, l’épicycle devra le couper.

» Nous répondrons que la première de ces deux difficultés peut être évitée ; on ne suppose pas que l’excentrique se meuve autour du centre du Monde, si ce n’est d’un mouvement per accidens, [c’est-à-dire d’un mouvement communiqué par un autre orbe dans lequel il est contenu] ; de lui-même, il se meut seulement autour de son propre centre, en sorte que ses diverses parties se succèdent continuellement les unes aux autres au sein d’espaces les uns plus éloignés du centre du Monde, les autres plus rapprochés, qu’on suppose ménagés dans l’épaisseur de l’orbe qui environne l’excentrique.

» Nous évitons de même la seconde difficulté ; en effet, nous ne supposons pas qu’en réalité le centre de l’épicycle se meuve sur la circonférence du déférent ; nous supposons que l’épicycle est une petite sphère logée dans l’épaisseur de l’orbe excentrique ; cette sphère est entraînée par le mouvement de cet orbe, et le corps de la planète est logé dans cette petite sphère. Nous verrons, d’ailleurs, que cette orbite en laquelle se trouve l’épicycle peut comprendre plusieurs sphères destinées à sauver les irrégularités qui se manifestent dans le mouvement de la planète ».

Bernard de Verdun connaît donc, comme Bacon, ce que tous leurs prédécesseurs de la Chrétienté latine, ou du moins tous ceux dont les écrits nous sont parvenus, semblent avoir ignoré, cette ymaginatio modernorum qu’Ibn al Haitam avait empruntée à Ptolémée et qu’il avait systématiquement exposée dans son Résumé d’Astronomie. Il connaît même ce mécanisme beaucoup mieux que Bacon ne semble l’avoir connu ; comme nous le verrons dans un instant, il sait de quelle façon les divers orbes de la Lune et de Mercure doivent être agencés si l’on veut que ces astres se meuvent selon les suppositions de l’Almageste.

L’admiration que notre Franciscain professe pour cette combinaison d’orbes solides est extrême ; il n’est pas d’avantage qu’il n en attende. En y introduisant, par exemple, certains orbes compensateurs analogues aux ἀνελιττούσαι σφαίραι d’Aristote, on pourrait supposer, comme en la Métaphysique du Stagirite, que le mouvement de chaque sphère se transmet à toutes les sphères contenues par elle :

« Il ne semble pas qu’il y ait inconvénient à supposer que le mouvement des sphères supérieures se propage jusqu’aux sphères