Page:Duhem - Le Système du Monde, tome III.djvu/457

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
450
L’ASTRONOMIE LATINE AU MOYEN ÂGE


sentera toujours au moment où le pôle de son orbite occupera une position bien déterminée sur le premier cercle qu’il décrit ».

Si écourté soit-il, cet exposé du système d’Al Bitrogi surpasse de beaucoup en exactitude ce qu’en ont dit ou ce qu’en diront les autres scolastiques ; il décrit le mouvement attribué aux planètes plus complètement encore que ne le fait l’Opus tertium de Bacon ; Bernard de Verdun a lu la Théorie des planètes d’Alpétragius ; il l’a lue en astronome, et point seulement en philosophe.

Ce n’est pas à dire que les critiques adressées par le Frère mineur à l’Astronome arabe soient toutes justifiées ; il s’en faut bien ; la première de ces critiques montre même qu’il n’avait pas du tout compris le mécanisme du mouvement propre attribué à chaque planète par le disciple d’Ibn Tofaïl ; ce mouvement se compose de deux rotations distinctes ; Frère Bernard veut que ces deux rotations n’en puissent faire qu’une :

« De multiples raisons, dit-il, montrent que tout cela est impossible. Dès là qu’un point de la sphère se meut, toute la sphère se meut, et il en est de même de chacun de ses points, à l’exception de deux points qui sont les pôles dudit mouvement. Partant, lorsque les pôles auront parcouru le quart du petit cercle sur lequel ils se meuvent, selon la supposition d’Alpétragius, toute la sphère aura accompli le quart de sa révolution ; elle achèvera sa révolution entière en même temps que le pôle terminera la sienne ; la ligne qui part du pôle du petit cercle en question, qui passe par le pôle de la sphère dont le mouvement entraîne la planète, et qui se termine au corps de la planète, ne décrit pas seulement, pendant une révolution du pôle sur le petit cercle, l’arc du Zodiaque qu’interceptent deux arcs de grand cercle issus du pôle du Monde et tangents au petit cercle ; elle décrit le Zodiaque tout entier. On voit donc que cette hypothèse mérite grandement qu’on en rie ».

Frère Bernard de Verdun eût risqué très fort que les rieurs ne fussent pas de son côté, si sa critique du système d’Al Bitrogi eût été réduite à ce seul argument ; il en produisait heureusement de meilleurs.

« Selon cette théorie, disait-il, les arcs parcourus directement par une planète seraient toujours égaux ; il en serait de même des trajets rétrogrades ; la planète serait toujours stationnaire aux mêmes points ; toutes ces conséquences sont absolument fausses.

» En outre, le mouvement, tant direct que rétrograde, atteindrait toujours son maximum de vitesse au moment où la planète a sa plus grande latitude ; c’est l’opposé qui est vrai, comme nous le verrons.