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L’ASTRONOMIE DES FRANCISCAINS


pleine adhésion soit à l’Astronomie d’Alpétragius, soit à l’Astronomie de Ptolémée.

Comme son maître Robert Grosse-Teste, comme son contemporain Thomas d’Aquin, Bacon est demeuré, pendant toute sa vie, suspendu entre le système de Ptolémée et le système d’Alpétragius. Aussi bien que Robert de Lincoln ou que Thomas d’Aquin, il connaît les observations par lesquelles on prouve la distance variable des astres errants à la Terre ; il sait donc que le système des sphères homocentriques est indéfendable ; et cependant, escomptant toujours quelque découverte impossible à prévoir, il ne peut se décider à repousser les hypothèses astronomiques que la Philosophie péripatéticienne regarde comme nécessaires. Il a connu les combinaisons d’orbes solides imaginées par Ptolémée ; il a vu que ces combinaisons rendaient vaines plusieurs des objections dressées par Averroès contre les excentriques et les épicycles ; mais il a reçu avec une sorte de mauvaise humeur cette « imagination des modernes » qui énervait les forces des adversaires de Ptolémée. Bacon s’était fait le hérault de la science expérimentale, de la science « qui regarde l’argumentation[1] comme capable de persuader la vérité, mais non de la rendre certaine ; qui, par conséquent, néglige les arguments ; qui, non seulement, recherche à l’aide des expériences les causes des conclusions, mais qui, de plus, soumet les conclusions mêmes à l’épreuve dê l’expérience ». Cette science-là, il n’avait pas hésité à déclarer qu’elle était « plus digne que toutes les autres parties de la Physique ». Et voici, cependant, que son attachement obstiné aux dogmes de la Physique péripatéticienne l’a conduit à cette monstrueuse affirmation[2] : « Il semble qu’il vaille mieux faire les mêmes suppositions que les physiciens, dussions-nous rester en défaut lorsqu’il s’agit de résoudre quelques sophismes auxquels le sens nous mène bien plutôt que la raison. — Videtur quod melius est ponere sicut naturales, licet deficeremus a solutione sophismatum aliquorum ad quæ sensus magis quam ratio ducit ». Par cette affirmation, il donnait son adhésion à l’avis qu’émettent les adversaires du système de Ptolémée[3] : « Ils disent qu’il vaut mieux sauver l’ordre de la Nature et contredire au sens, car celui-ci est maintes fois en défaut, surtout par l’effet d’une grande distance ; il vaut mieux,

  1. Un fragment inédit…, p. 137.
  2. Rogeri Bacon Communia naturalium ; lib, II : De cælestibus ; pars V, cap. XVII ; Bibl. Mazarine, ms. no 3.676, fol. 130, coll. a et b. — Éd. Steele, p. 444.
  3. Roger Bacon, loc. cit. ; ms. cit., fol. 130, col. a. — Éd. Steele, p. 443.