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L’ASTRONOMIE DES FRANCISCAINS

» Ce qui précède nous montre clairement comment Ptolémée se trompait en prenant le seul sens pour guide.

» De même, ce qu’Aristote dit des sens divers en lesquels sont dirigés, d’une part, le mouvement du premier mobile et, d’autre part, le mouvement des planètes, doit être regardé comme erroné ; ou bien il faut comprendre qu’Aristote parlait selon l’apparence ou selon l’opinion reçue communément par les astronomes de son temps ; ceux-ci, comme Ptolémée, tenaient seulement compte de l’apparence sensible. »

Si Bacon accueille volontiers, en faveur de l’opinion qu’il croit probable, les raisons qui lui paraissent sensées, il n’hésite pas à traiter sévèrement les raisons qu’il juge absurdes :

« Pour démontrer qu’il n’y a pas, dans le ciel, de mouvements dirigés en des sens différents, certains arguent d’une raison qui est sophistique, mais qui, pour eux, est difficile à résoudre. Si un orbe, inférieur au premier, est mû vers l’Orient tandis que le premier mouvement l’entraine vers l’Occident, ces deux mouvements proviendront de vertus contraires ; ces vertus, donc, seront ou égales, ou inégales ; si elles sont égales, les deux mouvements en sens contraire seront égaux ; il faudra alors que l’orbe demeure en repos ou bien qu’il se trouve simultanément en deux lieux différents ; si elles sont inégales, l’orbe se mouvra du mouvement que lui communique la vertu la plus puissante, bien qu’avec une vitesse moindre ; il se mouvra donc en un seul sens. »

En ces sophismes, nous reconnaissons ceux auxquels Guillaume d’Auvergne attribuait une valeur démonstrative[1] ; Bacon montre fort bien que les promoteurs de semblables objections n’ont pas compris le sens de ces mots : Un même orbe est entraîné, en même temps, par deux mouvements en sens contraires.

« Lorsque nous disons qu’un corps céleste ou que quelque mobile pris ici bas est mû, à la fois, de plusieurs mouvements, il faut savoir ou que nous disons une erreur, ou que notre discours doit être pris comme ayant rapport à plusieurs moteurs et au mouvement que chacun d’eux communiquerait au mobile, s’il le mouvait séparément et à part des autres. Lorsque le mobile, en effet, reçoit une vertu qui est formée par la composition des vertus de plusieurs moteurs, le mobile ne se meut pas du mouvement que causerait l’un de ces moteurs, ni du mouvement que causerait un autre de ces moteurs, mais d’un mouvement qui est différent de tous ceux-là et qui est, pour ainsi dire, composé d’eux

  1. Voir : Seconde partie, Chapitre V, § IV ; ce vol., p. 253.