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L’ASTRONOMIE DES FRANCISCAINS


le feu, par exemple, se meut plus vite que l’air. Or cette conséquence est fausse ; bien plus, Saturne semble se mouvoir plus lentement que toutes les autres planètes, car il n’achève sa course qu’en vingt-huit ans ».

« Au sujet de cette objection selon laquelle Saturne devrait se mouvoir plus vite que les autres astres errants », poursuit notre auteur, « je dis qu’il pourrait bien se faire que Saturne se mût plus vite que les autres si les planètes se mouvaient d’un mouvement propre, indépendamment du mouvement de leurs sphères, comme l’admit un certain philosophe. Mais il n’en est pas ainsi ; Saturne se meut du mouvement de sa sphère qui ne se meut pas plus rapidement que les sphères des autres planètes. »

Ce langage surprendrait de la part d’un auteur qui connaîtrait le système d’Alpétragius ; il saurait qu’on peut, à la fois, fixer chaque planète à son orbe, et admettre que les orbes des diverses planètes tournent tous d’Orient en Occident, d’autant plus vite qu’ils sont plus élevés. Mais le Frère mineur auquel on doit cette partie de la Somme ignore encore la Théorie des planètes d’Alpétragius, que Michel Scot venait de traduire ; l’hypothèse qui fait marcher tous les astres dans le même sens lui apparait sous la forme que lui donnait Gléanthe ; il la relie à l’hypothèse qui donne à chaque astre la liberté de son cours au sein du ciel fluide ; ainsi apparaissait-elle à ceux qui la connaissaient seulement par des écrits tels que le Commentaire au Timée de Chalcidius.

Dans la question que nous venons de citer, la Somme d’Alexandre de Haies affirme que chaque astre, serti dans son orbe, suit le mouvement de cet orbe ; elle soutient une opinion différente dans un autre passage[1]. Ce passage semble être d’une rédaction plus récente ou d’un rédacteur mieux informé ; l’opinion soutenue au De Cælo et Mundo par le « Philosophe » y est invoquée ; l’auteur résume, un peu confusément il est vrai, l’argumentation d’Aristote contre le mouvement propre des étoiles et, probablement, l’argumentation d’Averroès contre les hypothèses de Ptolémée.

« Si les astres », dit-il, « se mouvaient de mouvement propre, ou bien ils diviseraient la substance qui forme leurs orbes, ou bien ils ne la diviseraient point. S’ils ne la divisaient pas, il faudrait que deux corps fussent, en même temps, au même lieu, ce qui ne saurait être. S’ils la divisaient, c’est donc que la cinquième essence

  1. Alexandri de Ales Op. laud., Pars II, quæst. LII, membrum II, art. V.