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L’ASTRONOMIE LATINE AU MOYEN ÂGE

que, car les principaux livres traitant de ces sciences et les commentaires dont ils ont été l’objet n’avaient pas été traduits lorsqu’il prenait ses grades ès arts ; et, par la suite, ces livres demeurèrent fort longtemps frappés d’excommunication et interdits à Paris, où il a fait ses études. Aussi entra-t-il dans l’Ordre avant que ces livres eussent été enseignés une seule fois ; cela se reconnaît aisément par la date de son entrée dans l’Ordre et par celle de la dispersion de l’Université de Paris ; ces livres, en effet, demeurèrent prohibés jusqu’au temps de ses études et jusqu’au retour de l’Université, et, aussitôt après ce retour, il entra en religion, déjà vieux et maître en Théologie. Bref, il a ignoré ces sciences qui sont, aujourd’hui, communément répandues, savoir la Physique et la Métaphysique, qui sont la gloire de nos modernes études. Or, à défaut de connaître ces sciences, on ne peut savoir la Logique ; cela est évident pour tous ceux qui connaissent ces sciences. Les dix premiers livres de la Métaphysique, en effet, portent sur les sujets mêmes dont traite la Logique ; la Physique, d’autre part, a de nombreux contacts avec la Logique, tandis qu’en certains points, elle lui oppose de cruelles contradictions, contradictions qu’on ne peut connaître si l’on n’est versé en Logique. S’il lui arrive, en quelque partie de son ouvrage, de discuter de ces sciences, de l’avis de tous les théologiens, il est, en cette partie, plus terre-à-terre qu’en toute autre. Il a conservé bon nombre de propositions philosophiques vaines et fausses. De tout cela, nous avons un signe manifeste ; personne ne songe à faire écrire une nouvelle copie de cette Somme ; l’original pourrit chez les Frères ; personne, de nos jours, ne le touche ni ne le regarde. Assurément, il a ignoré toutes ces sciences dont je traite dans mes écrits, sciences sans lesquelles on ne peut rien savoir de celles qui sont plus répandues. Qu’il les ait ignorées, cela se voit, car en toute la Somme qu’on lui attribue, il n’y a pas une parcelle de vérité relative à ces sciences. »

Ce jugement de Roger Bacon sur la Somme d’Alexandre de Hales émane d’un homme bien informé ; et tout ce qu’on a pu, de nos jours, remarquer au sujet de cette Somme n’a fait que confirmer ce qu’en disait l’Opus minus ; elle est bien moins une œuvre originale qu’une rhapsodie de morceaux de diverses provenances. S’il nous fallait donc apprécier quelle fut, sur certains sujets, la propre pensée d’Alexandre de Hales, elle nous serait d’un fort médiocre secours ; elle nous sera précieuse, au contraire, si nous la prenons comme un document capable de nous faire connaître l’état général de la Science, au sein de l’Ordre franciscain, au voi-