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L’ASTRONOMIE DES DOMINICAINS

» Chez les modernes, donc, on n’admet pas la diversité des deux mouvements qu’en outre du mouvement diurne, Albert attribue à la huitième sphère ; on a découvert qu’ils ne sont qu’un seul mouvement ; dès lors, il n’est pas nécessaire de supposer plus de neuf sphères célestes ; au-dessus de la huitième sphère, il en faut placer une, et non pas deux ; il n’y a donc que neuf intelligences chargées de présider aux neuf orbes célestes. »

La lecture de ce chapitre nous montre, en Thierry l’Allemand, ce physicien si expert aux problèmes d’Optique, un philosophe peu versé aux études astronomiques.

Du mouvement d’accès et de recès, si familier, au temps où notre auteur écrivait, à ceux qui s’occupaient du cours des astres, il conçoit une très fausse idée. Il pense que le mouvement des étoiles fixes, dirigé d’Occident en Orient au temps de Ptolémée, a rétrogradé depuis ce temps, et que Thâbit ben Kourrah a observé ce renversement. Il ignore que le mouvement de la huitième sphère continue, à l’époque où il vit, sa marche directe, et que la trépidation d’accès et de recès n’est qu’une hypothèse théorique dont l’avenir démontrera la fausseté. Plus anciens que Thierry, Robert Grosse-Teste, Campanus, Roger Bacon, Bernard de Trille ont, cependant, de la doctrine attribuée à Thâbit, une connaissance tout autrement juste et précise.

Aux discussions qui passionnent les astronomes de son temps, notre frère prêcheur ne semble pas prêter grande attention. Il nie que les astronomes modernes attribuent à la huitième sphère, outre le mouvement diurne, deux mouvements distincts, l’un de précession continuellement directe, l’autre d’accès et de recès. Le traité De intelligentiis et motoribus cælorum est cependant, le prologue en fait foi, une œuvre que Thierry a composée dans son âge mûr, peut être dans sa vieillesse ; le xive siècle avait, sans doute, commencé au moment où il fut écrit ; or, à ce moment, toute l’attention des astronomes était dirigée[1] vers les Tabulæ Alfonsii et vers l’hypothèse du double mouvement lent que les’ auteurs de ces tables attribuaient à l’orbe des étoiles fixes.

Lors donc que Thierry s’écarte, au sujet du mouvement de l’orbe des étoiles fixes, du sentiment exprimé par son illustre frère Albert, admis par son autre frère Bernard de Trille, il s’éloigne, en même temps, de l’opinion qui se trouvait être, de son temps, celle des astronomes les mieux informés de leur science.

Thierry s’écarte encore[2] des astronomes de son temps en ce qui

  1. Voir, ci-après, le chapitre VIII.
  2. Theodorici Op. laud., cap. VIII : De ordine sperarum celestium et ratione