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L’ASTRONOMIE LATINE AU MOYEN ÂGE


culier, Alpétragius, en sa Science des secrets de l’Astronomie, secrets qu’il affirme lui avoir été révélés. Il dit que tous les cieux sont mûs immédiatement par la vertu de Dieu ; s’ils sont mûs de diverses manières, c’est à cause du degré de leur distance au premier moteur ; car la puissance du premier moteur est plus grande lorsqu’elle agit sur un mobile qui lui est immédiat [que sur un mobile médiat] ; ce mobile immédiat se meut donc plus vite. Alpétragius a donné cette raison des stations et rétrogradations apparentes des astres. Mais il a nié l’existence des excentriques et des épicycles, ainsi que le mouvement des planètes en sens contraire du mouvement premier mobile. »

Ulrich, qui écrit ces lignes, n’a sûrement jamais lu le livre d’Alpétragius auquel il attribue un titre étrangement fantaisiste. Qu’il ait puisé ces renseignements dans les ouvrages d’Albert le Grand, nous en pouvons être convaincus par cette remarque[1] de Saint Denys le Chartreux, qui reproduit le passage précédemment cité : « Ce qu’Ulrich rapporte d’Alpétragius, qu’il affirme avoir eu révélation du secret de l’Astronomie, Albert, en son écrit sur le second livre des Sentences, le raconte d’Alfarabi[2] ». Alpétragius, Alpharabius sont noms assez semblables pour que le bon Ulrich les ait confondus ou, mieux, pour que le copiste auquel Ulrich devait l’écrit d’Albert sur les Sentences les ait substitués l’un à l’autre.

Comme Albert le Grand, Ulrich de Strasbourg admet qu’il existe dix cieux mobiles. A l’appui de cette opinion, qu’il met au compte de Ptolémée, il n’invoque aucune raison d’Astronomie ; les motifs qui lui font ajouter foi à ce nombre sont ceux qu’Albert exposait en commentant la Métaphysique d’Aristote.

« Après que le Philosophe, dit-il[3], eût prouvé que le nombre des moteurs dépend du nombre des mobiles, il n’a pas procédé à une détermination nouvelle du nombre des mobiles ou des moteurs ; il s’est contenté de rapporter l’opinion que professaient à ce sujet les anciens astronomes comme Eudoxe et Leucippe (Calippe)…

  1. Divi Dionysii Carthusiani In Sententiarum librum II Commentarij Locupletissimi. Venetijs, Sub signo Angeli Raphaelis, MDLXXXIIII. Dist. XIV, quæst. IV, p. 324, col. b.
  2. Alberti Magni Scriptum in secundum librum Sententiarum — Nous n’avons pu découvrir le passage d’Albert le Grand auquel a trait cette indication de Denys le Chartreux.
  3. Ulbici de Argentina Op. laud., lib. I, tract. III, cap. II : De natura intelligentiarum et de numero et principes earum essentialibus, et qualiter sit composita et hoc aliquid, et qualiter sit ubique et immobilis, et de diffinitionibus ejus et de inodo ejus intelligendi. Ms. cit., fol. 302, coll. c et d, et fol. 303, col, a.