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L’ASTRONOMIE LATINE AU MOYEN ÂGE


telles imaginations ; humblement, il nous suggère cette prudente remarque : « Il faut bien observer que je ne pense pas qu’en aucun temps, tous les mouvements célestes aient été compris par aucun des mortels. Est autem attendendum quod non puto unquam fuisse comprehensos ab aliquo mortalium omnes motus cælorum ».

De l’exposé de ce système, il est toutefois une conclusion qui se dégage maintenant avec une entière certitude, et qu’il nous faut retenir : Après quelques tâtonnements, Albert a reçu, au sujet du mouvement des étoiles fixes, une hypothèse fort analogue à celle que les auteurs de l’édition latine des Tabulæ Alfonsii ont proposée après 1252 ; il ne semble pas, cependant, qu’il ait eu connaissance des Tables Alphonsines ; vraisemblablement, même, son De Cælo était achevé avant que ces tables ne parussent.

Nous savons, d’ailleurs, par le propre témoignage d’Albert, quel est le livre dont il s’est inspiré ; c’est le Liber de causis proprietatum elementorum faussement attribué à Aristote. Très probablement, c’est ce même livre qui a suggéré aux auteurs des Tabulæ Alphonsii la théorie toute semblable qu’ils ont proposée, vers le même temps, pour rendre compte du mouvement lent des étoiles fixes.

Au delà des dix sphères mobiles, faut-il placer un Empyrée immobile ? Albert n’accorde ni à Guillaume d’Auvergne ni à Michel Scot l’existence de cet orbe.fixe. Il reprend le raisonnement par lequel Michel Scot avait prétendu en établir la nécessité, mais c’est pour en tirer üne conclusion bien différente, et conforme à la Philosophie d’Aristote.

Nous avons entendu Michel Scot invoquer ce principe : « Il est plus noble de posséder sans mouvement la perfection dont on est capable que de l’acquérir par le mouvement ». Il en déduisait l’existence d’un dixième ciel, plus noble que tous les autres, et immobile parce qu’il possède, sans aucun mouvement, toute sa perfection.

Albert le Grand, suivant le principe posé par Michel Scot, distingue[1] trois degrés de noblesse parmi les choses célestes. Au degré suprême, se trouve ce qui possède la perfection absolue sans avoir besoin d’aucune opération pour l’acquérir ; au second degré, se trouve ce qui participe de la suprême perfection au moyen d’une seule opération ; au troisième degré, ce qui a besoin de plusieurs opérations pour s’assimiler au bien absolu.

  1. Alberti Magni De Cælo et Mundo liber II, tract. III, cap. XIV : De solutione primæ quæstionis superius motæ, quæ est quare non multiplicantur motus sphærarum inferiorum proportionnaliter secundum quod sint propinquiores vel remotiores a sphæramota prima.