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L’ASTRONOMIE LATINE AU MOYEN ÂGE


des longitudes diverses ; elles paraissent s’élever et s’abaisser, demeurer en station, rétrograder ou prendre la marche directe, être éclipsées à une heure ou à une autre. Aussi [Alpétragius] prétend-il que tout cela arrive par la position diverse des pôles de ces orbes et par les mouvements de ces pôles qui se meuvent, à son avis, autour du pôle du Monde, qui montent et descendent autour de celui-ci. » ‘

Cette description du système d’Al Bitrogi est bien vague ; un astronome aurait quelque peine à s’en contenter ; elle suffit à l’objet qu’Albert se propose, aussi bien dans son écrit sur la Métaphysique qu’en son commentaire au Livre des causes : « De tout cela, il faut retenir cette conclusion, qui importe seule à ce que nous nous proposons d’examiner : Selon les Anciens [dont Al Bitrogi s’est inspiré], il n’y a qu’un seul moteur des orbes célestes ».

Il est toutefois, dans ce trop sommaire exposé du système d’Al Bitrogi, une remarque qui mérite de retenir notre attention : « On a dessiné, dit Albert, une figure qui représente cette imagination ; mais cette Astronomie n’a pas été complétée par l’observation de la grandeur des mouvements ». Un peu avant, au sujet de l’hypothèse des excentriques et des épicycles, il avait dit : « C’est celle de Ptolémée, qui l’a complétée en démontrant les équations ». En ces quelques mots de l’Évêque de Ratisbonne, nous voyons apparaître la raison véritable de l’accueil favorable que les astronomes ont fait au système de Ptolémée comme du délaissement où ils ont laissé le système d’Al Bitrogi aussi bien que le système d’Héraclide du Pont. Pour un astronome, une hypothèse ne prend d’existence réelle qu’au jour où elle a fourni des tables propres à prédire les mouvements célestes et à soumettre ces prévisions au contrôle de l’observation. Bien des philosophes, avant Copernic, auront pu songer à l’hypothèse héliocentrique ; mais l’Astronomie héliocentrique n’existera que du jour où Copernic en aura tiré des tables plus exactes en leurs prévisions que les éphémérides issues du système de Ptolémée.

Que les combinaisons géométriques d’Alpétragius n’aient pas été poussées jusqu’au point où l’astronome en pourrait confronter numériquement les corollaires avec les mouvements observés, c’est, contre elles, l’objection essentielle, et qui porte.

Nous accorderions peu de valeur, aujourd’hui, à l’une des objections que l’Évêque de Ratisbonne adresse[1] au disciple d’Ibn

  1. Alberti Magni De Cœlo et Mundo liber primus, tract. III, cap. V.