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L’ASTRONOMIE LATINE AU MOYEN ÂGE

Mais il serait téméraire de prétendre que l’auteur de cet éloge connût, autrement que par ouï-dire, l’œuvre astronomique de Ptolémée.

De toute manière, si Alain a lu l’Almageste, s’il a lu les Théoricæ planetarum de Gérard de Crémone et les Libri novem Astromiæ de Géber, les connaissances qu’il en a tirées pour les exposer dans son poème sont fort générales et, partant, fort superficielles. Il serait vain de rechercher dans l’Anticlaudianus des renseignements quelque peu instructifs sur l’état de la science astronomique à la fin du xiie siècle. C’est ainsi que nous n’y trouverions même pas une allusion au phénomène de la précession des équinoxes, bien que ce phénomène fût étudié dans tous les traités qu’Alain avait probablement lus.

Arrivée à la limite du ciel des étoiles fixes, la Prudence cesse d’être guidée par la Raison, alors que la Raison, mieux informée des doctrines astronomiques du temps, lui eût encore montré la neuvième sphère et expliqué comment cette sphère est le véritable premier mobile.

Ce n’est plus la Raison, c’est la Théologie qui conduit la Prudence au sein des eaux supérieures au firmament ; entre les théories multiples que les auteurs ont proposées au sujet de ces eaux, la Prudence ne sait où fixer son choix[1] :


Nec mirum si cedit ad hæc Prudentia, quæ sic
Excedunt matris Naturæ jura, quod ejus
Exsuperant cursus, ad quæ mens déficit, hæret
Intellectus, hebet ratio, sapientia nutat,
Tullius ipse silet, rancescit lingua Maronis,
Languet Aristoteles, Ptolemæi sensus aberrat
.


Au sortir du ciel aqueux, c’est encore, bien entendu, la Théologie, et non pas la Raison, qui introduit la Prudence dans l’Empyrée[2] où s’achèvera cette ascension vers Dieu.

  1. Alani de Insulis Anticlaudianus, lib. V, cap. VI ; éd. cit , col. 526.
  2. Alani de Insulis Anticlaudianus, lib. V, cap. VII