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L’ASTRONOMIE LATINE AU MOYEN ÂGE


cle, toutes les œuvres originales au Gérard de Sabbionetta du xiiie siècle. Par ce procédé sommaire, la Theorica planetarum devenait un ouvrage qu’aurait été composé ce Gérard de Sabbionetta, au plus tôt vers 1250. Le prince Boncompagni a reçu sans discussion la classification aussi commode qu’arbitraire de Tiraboschi.

Le principe de cette classification était, cependant, posé sans aucune critique ; la plus légère réflexion suffit à montrer que,ce principe est sans fondement. La note biographique sur Gérard de Crémone ne nous montre pas seulement en lui un interprète sachant le Latin et l’Arabe, mais un homme versé dans toutes les sciences. Il existe, d’ailleurs, des tables astronomiques qui sont sûrement de lui. Pourquoi n’aurait-il pas accompli d’autres œuvres originales ?

Avant donc de décider si un écrit doit être attribué à l’interprète du xiie siècle ou à l’astrologue du xiiie siècle, il convient de lire de près cet écrit et d’y rechercher des indices qui justifient soit l’une soit l’autre des deux attributions.

Or un tel examen, appliqué à la Theorica planetarum, ne laisse aucune place au doute. Non seulement la théorie du mouvement des auges exposée dans ce traité serait singulièrement en retard sur les connaissances courantes si elle avait été rédigée après 1250, mais encore nous sommes assurés qu’elle a été rédigée à Tolède. Or rien n’indique que Gérard de Sabbionetta ait jamais mis le pied en Espagne.

Les conclusions de cet examen se trouvent confirmées par ailleurs. Un traité astronomique anglais que nous étudierons plus loin et que nous serons amenés à dater de 1232, cite Magister Gelaldus Cremonensis, et ce qu’il lui emprunte provient certainement des Theoricæ planetarum ; cet ouvrage était donc attribué à Gérard de Crémone avant le temps où Gérard de Sabbionetta composait ses pronostics. Bien plus, dès la fin du xiie siècle, nous relèverons en l’Anticlaudianus d’Alain de Lille une trace laissée peut-être par la lecture des Theoricæ planetarum.

Nous croyons donc que la Theorica planetarum a été rédigée au xiie siècle, à Tolède, par ce Gérard de Crémone à qui les Latins ont dû la première traduction de l’Almageste ; nous croyons qu’elle représente le plus ancien traité d’Astronomie théorique que la Scolastique latine ait composé.

Il semble d’ailleurs que Gérard, qui l’avait écrit, ait, dès le temps même de sa vie, trouvé des imitateurs ; tel serait ce Roger Henofortensis ou de Hereford que Leland nous fait connaître[1].

  1. Commentarii de Scriptoribus Britannicis, auctore Joanne Lelando Londi-