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L’ASTRONOMIE LATINE AU MOYEN ÂGE

Dans un antre passage [1], Guillaume de Conches soutient, avec une fermeté non moins grande, contre ceux qui veulent croire sans comprendre [2], le droit d’interpréter l’Écriture par des explications naturelles, toutes les fois que cela est possible.

« Lorsqu’en l’Écriture, il est dit qu’une chose a été faite et que nous expliquons comment elle a été faite, en quoi notre langage est-il contraire à l’Écriture ? Si un sage me dit qu’une chose a été faite sans m’expliquer de quelle manière elle a été faite, et si un autre, en me disant la même chose, me l’explique, quelle contradiction y a-t-il entre eux ? Mais ceux-là ne savent rien des forces de la nature ; alors, ils veulent que tous les autres soient des compagnons de leur ignorance ; ils ne veulent pas que les autres se livrent à aucune recherche ; ils veulent que nous croyions à la façon des paysans, sans chercher la raison de rien… Nous, au contraire, nous prétendons qu’en toutes choses, nous devons chercher la raison ; mais que si la raison nous échappe d’une chose qu’affirme la Sainte Écriture, nous devons alors nous confier au Saint-Esprit et à la foi… Lorsque nous étudions une question qui touche à Dieu, si nous ne suffisons pas à la comprendre, appelons à notre aide notre voisin, c’est-à-dire un autre qui demeure en la même foi catholique que nous, Si ni lui ni nous ne suffisons à comprendre cette question, livrons-la aux flammes ardentes de la foi. »

Saint Anselme n’eût assurément pas mieux marqué les droits de la foi à rechercher l’intelligence des choses qu’elle croit.

Guillaume de Conches avait évidemment rencontré des théologiens pour lesquels toute opinion est hérétique s’ils ne la trouvent point consignée dans des livres très anciens ; l’audacieux exégète n’accepte pas leurs condamnations : « Si l’on trouve ici, dit-il [3], quelque chose qui n’ait pas déjà été écrit autre part, nous demandons qu’on n’aille pas le taxer d’hérésie ; ce n’est pas, en effet, parce qu’une proposition n’a point été écrite jusqu’ici qu’elle est une hérésie, mais parce qu’elle va contre la foi »,

Le philosophe qui a si fermement réclamé le droit, pour la raison, d’analyser et de pénétrer les affirmations de l’Écriture ne saurait montrer moins d’indépendance à l’égard des autorités humaines ; il consent à recueillir les avis des sages, mais à la condition de les repenser en son propre esprit, de leur apporter les modifications et les améliorations nécessaires : « Ce qui arrive

1. Hirsaugiensis, lib. II, p. 26. — Be»a, lib. I, col. u38. — Honorius, lib. I, cap. XXII, De creatione pisciuw et avium, col. 56.

2. C’est-à-dire contre les Coraificiens, ses adversaires.

3. Hirsaugiensis, lib. I, p. 7. Beda, lib. I, col. 1130. — Honorius, lib. I, col. 46, cap. XIV ; Quare Spiritui Sancto peccatorum reœissio tributa.

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