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L’ASTRONOMIE LATINE AU MOYEN ÂGE

l’Église latine, que les Saint Basile comme les Saint Ambroise, aient vivement combattu la possibilité d’une matière première éternelle, que Dieu n’aurait pas créée, et qu’il aurait seulement informée pour produire le Monde. « Si la matière n’est pas engendrée, dit Saint Basile[1], elle est, tout d’abord, aussi digne d’honneurs que Dieu ; leur ancienneté égale leur vaut les mêmes hommages. Peut-il y avoir semblable impiété ! Ce qui est sans qualité et sans forme, ce qui est la pure privation de forme, cette laideur que rien ne façonne (pour me servir de leurs propres paroles) se trouve mis sur le même pied que le sage, que le puissant, que le parfaitement beau Créateur et Organisateur de toutes choses ».

Il semble à Saint Basile que la doctrine des philosophes, touchant la matière première, repose sur une assimilation fausse entre l’art humain et la puissance divine[2].

L’art humain a besoin d’une matière qui lui soit donnée du dehors, et à laquelle il se contente d’imposer une forme ; ainsi l’art du forgeron a besoin de fer, l’art du menuisier a besoin de bois. Les philosophes s’imaginent qu’il en est de même dans l’œuvre divine ; que Dieu, pour faire le Monde, n’a pu se passer d’un certain substrat (ὑποκειμένον), d’une certaine substance (οὐσία) à laquelle il a seulement conféré figure (σχῆμα) et forme (μορφή).

Ce n’est point ainsi que l’acte créateur s’est produit. « Au moment même où Dieu a conçu le Monde tel qu’il devait être, en même temps qu’il en a produit la forme, il a produit une matière en harmonie avec cette forme — Ὁμοῦ τε ἐνόησεν ὁποῖόν τινα χρὴ τὸν κόσμον εἶναι, καὶ τῷ εἴδει αὐτοῦ τὴν ἁρμόζουσαν ὕλην συναπεγέννησε ».

Cette matière première, cette ὕλη des philosophes, qu’il assimile, dans sa discussion, au fer ou au bois que façonne le forgeron ou le menuisier, Saint Basile songe-t-il que les Péripatéticiens lui attribuent seulement l’existence en puissance ? Ne la regarde-t-il pas plutôt comme une chose qui existe déjà en acte, à la façon du fer ou du bois, mais qui, incomplètement achevée, attend une forme plus précise et plus parfaite ? Le Péripatétisme n’était plus guère en vogue, et les notions d’existence en puissance et de matière première, si caractéristiques de cette philosophie, avaient été des plus promptes à s’altérer et à s’obscurcir. Saint Basile, assurément, a, de la matière première, une idée fort différente de celle qu’Aristote avait conçue, fort analogue à celle que nous ver-

  1. Saint Basile, loc. cit.. ; éd. cit., Coll. 31-32.
  2. Saint Basile, loc. cit.. ; éd. cit., Coll. 31-34.