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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE

de bonne heure, les hommes ont été particulièrement tentés de comparer à notre monde ; c’est le plus voisin de nous, le plus aisément observable, la Lune, Déjà, au dire de Stobée[1], « Héraclide et Ocellus faisaient de la Lune une terre entourée de nuages ». Lorsque la théorie péripatéticienne de la cinquième essence eut été abandonnée, il est naturel que plusieurs physiciens aient songé à reprendre cette antique supposition.

Parmi ces physiciens, nous devons ranger Plutarque.

Plutarque a écrit Sur la figure qui apparaît dans le disque de la Lune, Περὶ τοῦ ἐμφαινομένου προσώπου τῷ ϰύϰλῳ τῆς Σελήνης, un petit traité où il s’attache à établir l’antique supposition d’Héraclide et d’Ocellus ; ce petit traité est une œuvre de génie.

Plutarque prend pour principe cette proposition bien avérée que la Lune réfléchit vers nous la lumière du Soleil. Pour qu’elle puisse nous renvoyer ainsi la lumière solaire, il faut, dit-il[2], qu’elle soit un corps solide et dense. « Il est trois corps sur lesquels peut tomber la lumière solaire, l’air, l’eau et la terre ; or nous voyons la Lune s’illuminer comme la terre, non comme l’eau ou l’air ; mais des êtres qui, d’un même agent, pâtissent de la même manière, doivent nécessairement être de même nature. »

Ce raisonnement conduit Plutarque à la conclusion que voici[3] :

« La Lune est une terre céleste (… τὴν σελήνην, γῆν οὖσαν ὀλυμπίαν)… Ne croyons pas commettre un péché en admettant qu’elle est une terre, en supposant que la face dont elle est ornée provient de ceci : De morne que notre terre présente de grandes vallées, de même la Lune se creuse de profondes dépressions et de crevasses, remplies d’eau ou d’air embrumé, à l’intérieur desquelles la lumière du Soleil ne pénètre pas, dont elle ne touche pas le fond, mais où elle disparaît ; car, en ces endroits, se produit la réflexion diffuse (ϰαὶ διεσπασμένην ἐνταῦθα τὴν ἀνάϰλασιν ἀποδίδωσιν). »

Cette analogie entre la terre et la Lune, Plutarque la pousse si loin qu’il attribue à la Lune des habitants. Mais en faisant ainsi, de la Lune, un monde semblable à notre terre, il contredit, et il le sait bien, à toute la Physique péripatéticienne.

Tout d’abord il contredit à l’hypothèse d’une essence céleste entièrement distincte des quatre éléments, pure et éternelle[4].

  1. Joannis Stobæi Eclogarum physicarum lib. I, cap. XXVI ; éd. Meineke, p. 151.
  2. Plutarque, De facie in orbe Lunœ cap. XVIII. (Plutarchi Opera moralia éd. Didot, vol. II, p. 1140).
  3. Plutarque, Op. laud., cap. XXI ; éd. cit., p. 1145.
  4. Plutarque, Op. laud., cap. XVI ; éd. cit. p. 1137.