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LA THÉORIE DES MARÉES ET L’ASTROLOGIE

Le raisonnement de Ptolémée ne semble porter aucune atteinte au déterminisme de la nature, puisqu’il se borne à invoquer le conflit de deux groupes de causes également naturelles et nécessitantes. Mais pour que ce raisonnement ait un sens, il faut que nous soyons maîtres de déchaîner ou de ne pas déchaîner ce conflit, que nous puissions, à notre gré, opposer ou ne pas opposer le second groupe de causes au premier. Toute l’argumentation postule le libre arbitre de l’homme et sa libre action sur les choses de ce monde. Or, cette action libre, où donc trouve-t-elle sa place dans ce système, ignorant de toute cause efficiente qui ne soit fatale ?

Afin de ne craindre aucun démenti dans ses prévisions, la Science veut imposer au Monde un déterminisme inéluctable qui refuse à l’homme toute liberté ; mais, pour ses prophéties, elle achète la certitude au prix de l’utilité, puisqu’elle nous met hors d’état de rien faire en vue de profiter de ce qu’elle nous annonce. Ce conflit entre la Science qui postule le fatalisme et la conscience qui affirme la liberté est vieux comme le monde et durera, sans doute, autant que lui. Nous venons de voir qu’au temps de Ptolémée, il était aussi aigu qu’aujourd’hui.


V
LES PRINCIPES DE L’ASTROLOGIE APRÈS POSIDONIUS (suite).
LES PARTISANS DE LA CONTINGENCE. PLUTARQUE. ALEXANDRE D’APHRODISIAS

Ce conflit s’était vivement débattu dans la raison de Chrysippe,

Chrysippe soumettait le monde au Destin, à Εἱμαρμένη ; de ce Destin, dans son traité De la Providence, Περὶ Προνοίας, il donnait la définition suivante[1]  : « Le Destin est une disposition naturelle de l’ensemble des choses, en vertu de laquelle ces choses dérivent éternellement les unes des autres : au bout d’un fort long temps, cette disposition affecte la même combinaison invariable — Εἱμαρμένην εἶναι φυσιϰήν τινα σύνταξιν τῶν ὅλων, ἐξ ἀϊδίου τῶν ἕτερων τοῖς ἑτέροις ἐπαϰολουθούντων, ϰαὶ μετὰ πολὺ μὲν οὐν ἁπαραϐάτου οὔσης τοιαύτης συμπλοϰῆς ». Les derniers mots affirmaient l’allure périodique de cette loi qui constitue le Destin.

Les adversaires de Chrysippe s’élevaient vivement contre ce fatalisme, contre ce Destin implacable qui, périodiquement,

  1. Aulu-Gelle, Les nuits attiques, livre IV, ch. II.