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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE


ont appris comment ils plaçaient le feu au centre commun de l’Univers et de la Terre ; comment, de là, ce feu communiquait non seulement, la chaleur, mais la vie (ζωοποιοῦν) à la Terre entière, comment il exerçait sa puissance organisatrice (δημιουργιϰὴ δύναμις) : et, sans doute, comme dans la synthèse de Philolaüs, c’est ce feu central qui, pour eux, meut en cercle tous les astres.

Ce pouvoir de création et d’organisation, cette influence vivifiante, cette force motrice, Platon ne les attribue plus au feu central ; il en fait l’apanage de l’Âme du Monde (ψυχή).

« Le Monde, en effet[1], a été en vérité engendré par la Providence divine sous forme d’un être vivant doué d’âme et d’intelligence (ζῷον ἔμψυχον ἔννουν). »

En ce point, d’ailleurs, comme en beaucoup d’autres, il se contentait, sans doute de suivre l’exemple des Pythagoriciens les plus jeunes. Simplicius nous a enseigné[2] qu’Archytas de Parente admettait déjà une Âme du Monde dont le mouvement interne engendrait et réglait le mouvement universel de la Nature et, par là, tous les mouvements particuliers.

Or, cette Âme, à laquelle il confie toutes les fonctions que les Pythagoriciens attribuaient au feu, Platon la dispose dans le Monde comme les successeurs de Philolaüs distribuaient le feu. « Dieu a mis l’Âme au milieu du Monde[3] ; de là, il l’a étendue dans l’Univers entier et, en outre, il l’a placée hors du corps du Monde, alentour de ce corps. »

Après avoir suivi de près, en sa description de l’Âme du Monde, les doctrines des Pythagoriciens postérieurs à Philolaüs, faut-il croire que Platon ait poussé plus loin et qu’il ait été tenté de se rapprocher des idées mêmes de Philolaüs ? Nous le devons admettre si nous voulons nous fier au témoignage de Plutarque ; et ce témoignage paraît ici d’autant plus digne de foi qu’il invoque la très grande autorité de Théophraste.

Plutarque nous dit en effet, en ses Questions platoniques[4] : « Théophraste raconte que Platon, parvenu à la vieillesse, s’était repenti d’avoir attribué à la Terre la place centrale de l’Univers qui n’était pas pour elle la place convenable ».

  1. Platon, Timée, 30 ; éd. cit, p. 205.
  2. Voir p, 81.
  3. Platon, Timée, 34 ; éd. cit., p. 207. Cette analogie entre le feu central des Néo-pythagoriciens et l’Âme du Monde enseignée par Platon a, depuis longtemps été mise en évidence par Bœckh (A. Bœck, De Platonico systemate caelestium globorum et de vera indole astronomiae Philolaicae ; Heidelberg, 1810 — August Bœckhs Gesammette kleine Schriften, Bd. III, p. 287.)
  4. Plutarque, Platonicœ quœstiones, VIII.