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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE

Suivant une doctrine toute semblable à celle que Massoudi attribue aux Indiens, Platon veut, ici que tout, être passe alternativement d’une jeunesse féconde à une vieillesse stérile ; pour chacun d’eux, cette succession de croissance et de décrépitude correspond au parcours plus ou moins rapide d’un certain cercle (περιτροπαὶ ἑκάστοις κύκλων περιφορὰς ξυνάπτωσι, βραχυϐίοις μὲν βραχυπόρους, ἐναντίοις δὲ ἐναντίας.). Parmi ces circulations périodiques, il en est une qui régit la prospérité et la décrépitude de toutes les choses humaines ; mais la période de celle-ci est subordonnée au Nombre parfait qui mesure la période du mouvement des astres.

Ce Nombre parfait, Platon ne le nomme pas explicitement : il indique la formule qui permet de l’obtenir. Cette formule a vivement attiré l’attention des commentateurs et des historiens modernes, soit que leur sagacité s’exerçât à en deviner le sens soit qu’elle désespérât d’y parvenir. Le dernier et, semble-t-il, le plus heureux de ces chercheurs est M. J. Dupuis[1]. Selon les conjectures très vraisemblables de cet auteur, le Nombre parfait qui ramène au même état l’ensemble des êtres divins et engendrés, qui mesure donc la Grande Année platonicienne, serait 760000 ans. Il est ainsi multiple du cycle luni-solaire de Méton, qui compte dix-neuf années et 235 lunaisons, et de la myriade d’années, période au bout de laquelle, selon Platon, chaque âme revient à son point de départ[2].

Il semble bien clair que le Nombre parfait de Platon n’est autre que celui qui, d’après Archytas, mesure la période de la Nature universelle, τὸ διάστημα τῆς τοῦ παντὸς φύσεως.

Simplicius, d’ailleurs ne nous donne pas la doctrine d’Archytas comme isolée en l’ancienne philosophie hellène ; bien au contraire, il semble nous montrer en elle, à la fois, l’enseignement commun des Écoles pythagoriciennes au sujet du temps et la synthèse de théories très diverses. « L’enseignement des anciens, dit-il[3], s’accorde avec la définition donnée par Archytas ; les uns, en effet, comme l’indique le mot, même de temps, définissaient le temps comme une certaine évolution que l’Âme du Monde exécute autour de l’intelligence ; d’autres le rattachaient aux mouvements périodiques de l’Âme et de sa propre Intelligence ; d’autres encore

  1. Théon de Smyrne, philosophe platonicien, Exposition des connaissances mathématiques utiles pour la lecture de Platon, traduite pour la première fois du grec en français par J. Dupuis. Épilogue : Le nombre de Platon (Mémoire définitif). Paris, 1892, pp. 365-400.
  2. Platon, Phèdre, 248.
  3. Simplicii In catégorias commentaria, loc. cit., éd. cit., p. 351 ; In physicorum libros commentaria, loc. cit., éd. cit., p. 786.