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LA COSMOLOGIE DE PLATON


mouvement de l’Âme pris comme unité, il est clair qu’il a également considéré ce mouvement-ci comme étalon (μονάς) de temps ; il semble qu’il regarde le temps comme constitué à la fois par le premier mouvement, celui qui subsiste dans l’Âme, et par le mouvement qui procède de celui-là ; c’est à ce second mouvement que tout autre mouvement est rapporté et comparé, c’est par lui qu’il est mesuré ; il faut, en effet, que la mesure se puisse superposer à l’objet à mesurer et, en même temps, qu’elle joue, par rapport à lui, le rôle d’un principe. »

De cette unité de temps qui rythme la vie périodique du Monde, de ce διάστημα τῆς τοῦ παντὸς φύσεως, l’analogie est frappante avec le kalpa des Indiens, avec le jour de sindhind, avec le jour du Monde qui forme un jour de la vie de Brahma et qui, périodiquement, ramène l’Univers au même état. Et comment d’autre part, ne rapprocherait-on pas ce κινήσεως τινος ἀριθμός, dont l’intervalle de la Nature universelle est l’unité, la μονάς, et qui constitue le temps, de ce τέλεος ἀριθμὸς χρόνου dont Platon met la définition sur les lèvres de Timée le pythagoricien et qu’il identifie à l’Année parfaite, au τέλεος ἐνιαυτός ?

Ce rapprochement entre les doctrines des Indiens et d’Archytas, d’une part, et la doctrine de Platon, d’autre part, devient encore plus saisissant lorsqu’on se souvient du langage que Platon, avant d’écrire le Timée, avait tenu en la République[1].

« Ce n’est pas seulement aux plantes enracinées dans le sol, disait-il, c’est aussi aux animaux répandus à la surface de la terre que l’infécondité de l’âme et du corps survient après la fertilité ; à chacun de ces êtres, ces changements alternatifs attribuent le parcours d’un certain cercle, à ceux qui vivent peu de temps, un cercle rapidement décrit, à ceux qui vivent longtemps, un cercle qui se ferme lentement, » Ainsi en est-il de la constitution des cités et de tout ce qui est soumis à la génération. « À ce qui est à la fois engendré et divin », poursuit Platon, qui désigne par là les corps célestes, « correspond une révolution périodique que comprend un nombre parfait (περίοδος ἣν ἀριθμὸς περιλαμϐάνει τέλειος) ; mais pour ce qui est engendré et humain, il y a un certain nombre qui vient avant celui-là πρῶτος ; c’est de ce nombre que les accroissements reçoivent leur puissance et c’est par lui qu’ils sont à leur tour subjugués… Or, ce nombre géométrique pris en son entier, est, de cette manière, le maître (κύριος) des générations meilleures et des générations pires. »

  1. Platonis Civitas, lib. VIII, 546 (Platonis Opera, éd. Didot, t. II, pp. 144-145).