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LA COSMOLOGIE DE PLATON


nous voyons ici Anaximandre affirmer un double infini : Une étendue infinie, principe de la coexistence d’une infinité de mondes simultanés ; une éternité infinie, principe des générations et des destructions périodiques d’une infinité de mondes successifs.

En des termes différents, les mêmes idées sont prêtées à Anaximandre par l’ouvrage, intitulé Philosophumena ou encore Refutatio omnium hæresium, que l’on a longtemps attribué à Origène et que l’on restitue, aujourd’hui, à saint Hippolyle. Voici, en effet, ce que cet ouvrage rapporte de renseignement d’Anaximandre[1] :

« Celui-ci dit que le principe des êtres est une certaine nature de l’infini ; de cette nature naissent les vieux et les mondes qu’ils contiennent. Elle est éternelle et ne vieillit point, cette nature qui embrasse tous les mondes. »

À cela, saint Hippolyte ajoute cette phrase importante : « Anaximandre dit que le temps est comme [formé] de l’ensemble délimité de la génération, de l’existence et de la destruction d’un monde (λέγει δὲ χρόνον ὡς ὡρισμένης τῆς γενέσεως ϰαὶ τῆς οὐσίας ϰαὶ τῆς φθορᾶς) ». Pour la première fois, nous entrevoyons ici cette idée que le temps véritable, que la durée parfaite, c’est la durée bien déterminée qui s’écoule de la naissance à la mort de l’un des mondes successifs, c’est la période selon laquelle se reproduit l’Univers ; bientôt, Archytas de Tarente nous dira quelle importance cette pensée a prise dans la théorie pythagoricienne du temps.

Comme Anaximandre, Anaximène admettait assurément l’existence successive d’une infinité de mondes dont une période de temps bien déterminée réglait les naissances et les morts. Simplicius nous l’affirme en propres termes. Il est des philosophes, dit-il[2], au gré desquels « il existe toujours un monde ; mais ce n’est pas le même monde qui existe toujours ; ce qui existe, c’est tantôt un monde, tantôt un autre, dont la génération se fait suivant certaines périodes de temps (γινόμενον ϰατά τινας χρόνων περιόδους). C’est ce qu’ont pensé Anaximène, Héraclite, Diogène et, plus tard, les Stoïciens. »

Dès là que, dans la suite infinie des mondes, chaque monde a une durée limitée, la même pour tous, la connaissance de cette durée apparaît à l’homme comme l’un des objets les plus captivants qui puissent retenir sa curiosité. De bonne heure, il dut s’essayer à déterminer cette durée, à comparer la période de la

  1. Sancti Hippolyti, Refutatio omnium hæresium, lib. I, cap. VI [Patrologiœ græcæ, accurante J. P. Migne t. XI, pars III (Origenis Operum t. VI, pars III), col. 3029].
  2. Simpucii In Aristotelis physicorum libros quattuor posteriores commentaria. Edidit H. Diels. Berolini, 1895. Lib. VIII, cap. II, p. 1121.