Page:Duhem - Le Système du Monde, tome I.djvu/72

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
64
LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE


celui de la Lune, immédiatement avant le septième anneau, qui est celui du Soleil ; il aurait donc admis que la Lune était plus grosse que le Soleil. Comment lui prêter une semblable opinion, alors que la vue lui montrait le disque lunaire au plus égal au disque solaire, et qu’il supposait le Soleil plus éloigné de la Terre que la Lune ?

Il faut, nous semble-t-il, prendre beaucoup plus au pied de la lettre le sens de l’allégorie platonicienne ; la largeur des divers anneaux colorés que contemplent Er et ses compagnons, c’est l’épaisseur des diverses gaines qui entourent le fuseau de la Nécessité ; de même que ces diverses gaines représentent les diverses sphères célestes, il est naturel de penser que l’épaisseur de chacune des gaines représente l’épaisseur de la sphère céleste correspondante. C’est l’interprétation qu’en 1881 a proposée Th.-H. Martin[1], délaissant entièrement son ancienne explication ; elle a été également adoptée par Paul Tannery[2].

Ce n’est pas, d’ailleurs, que cette interprétation soit exempte de toute difficulté.

En premier lieu, les épaisseurs des diverses sphères planétaires se trouvent ici rangées dans un ordre incompatible avec ce qui a été dit, au Timée, de ces mêmes épaisseurs ; il est vrai qu’entre le temps où il a composé la République et celui où il a écrit le Timée, Platon a fort bien pu changer d’opinion en une question où aucune certitude ne venait restreindre la liberté des hypothèses.

En second lieu, il semble bien, comme nous le verrons plus tard, que les Pythagoriciens aient demandé à la supposition du concert harmonieux produit par le mouvement des sphères célestes, un principe propre à fixer les épaisseurs relatives de ces sphères ; ils voulaient que ces épaisseurs fussent proportionnelles aux grandeurs de certains intervalles musicaux. Que Platon ait songé à ces doctrines alors qu’il décrivait le fuseau de la Nécessité, nous n’en pouvons guère douter lorsque nous entendons chanter les Sirènes que portent les divers anneaux ; et l’on y pourrait voir une preuve que la largeur de chaque anneau représente l’épaisseur de la sphère à laquelle il correspond ; malheureusement, il est impossible de deviner à quel groupement d’accords pouvait correspondre l’ordre assigné par le mythe d’Er aux largeurs de ces anneaux.

  1. Th.-Henri Martin, Mémoires sur les hypothèses astronomiques chez les Grecs et chez les Romains. Hypothèse astronomique de Platon (Mémoires de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, t. XXX, première partie, pp. 101-104 ; 1881).
  2. Paul Tannery, Recherches sur l’Histoire de l’Astronomie ancienne. Appendice, § V (Mémoires r/e la Société des Sciences physiques et naturelles de Bordeaux, 4e série, t. I, p. 327 ; 1893).