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LA COSMOLOGIE DE PLATON

cles colorés que contemplent Er et ses compagnons, les plus larges correspondraient aux astres qui peuvent s’écarter le plus de l’équateur, les plus étroits correspondraient aux astres qui demeurent les plus voisins de l’équateur.

Cette savante explication du mythe d’Er se heurte à de bien gras es obstacles.

En premier lieu, on ne voit guère par quels intermédiaires a passé l’imagination de Platon lorsqu’elle a figuré à l’aide de la largeur du bord d’une gaine la plus grande valeur que puisse prendre, pour la planète correspondante, l’écart maximum entre cette planète et l’équateur ; toute analogie fait défaut entre ces deux éléments géométriques.

En second lieu, l’ordre que Platon assigne aux divers cercles est loin de correspondre exactement à l’ordre dans lequel les planètes se rangeaient, à cette époque, par la valeur maximum de leurs déclinaisons[1]. La déclinaison maximum de Mars était alors un peu moindre que celle de la Lune ; celle de Mercure était notablement plus grande que celle du Soleil ; or Platon met la gaine de Mars (la quatrième) au troisième rang et celle de la Lune (la huitième) au quatrième rang ; il met la gaine de Mercure (la cinquième) au sixième rang et la gaine du Soleil (la septième) au cinquième rang. Ces discordances, que Th.-H. Martin a consciencieusement signalées, et en particulier la seconde, qui est la plus grave, laissent bien peu de vraisemblance à l’ingénieuse interprétation du savant doyen de la Faculté de Rennes.

Il y a lieu, croyons-nous, de donner du mythe d’Er une explication qui évite de prêter à Platon des considérations astronomiques aussi raffinées. Telle serait, par exemple, celle que propose Théon de Smyrne[2]. Selon cet auteur, les largeurs plus ou moins grandes des anneaux colorés correspondent aux grosseurs plus ou moins considérables des planètes ; Platon, dit-il, « montre en quel ordre les sphères se rangent, soit d’après la grandeur de l’astre que contient chacune d’elles, soit d’après leur couleur, soit d’après la vitesse avec laquelle elles tournent en sens contraire de l’Univers. »

Toutefois, cette explication de Théon se heurte, elle aussi, à une insurmontable contradiction ; Platon, classant les anneaux par ordre de largeur décroissante, met le huitième anneau, qui est

  1. En Astronomie, on nomme déclinaison la distance angulaire d’un astre à l’équateur.
  2. Théon de Smyrne, Op. laud., c. XVI ; éd. Th.-H. Martin, p. 195 ; éd. J. Dupuis, pp. 234-235.