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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE

La marche ordonnée des êtres ignés n’est pas le seul caractère qui les oppose aux êtres terrestres dont le mouvement ne suit aucune règle fixe. Ces êtres s’opposent encore par la durée de leur vie.

Touchant les êtres qui ont été formés par le feu, nous ne pouvons assurément choisir qu’entre deux alternatives[1] : « Ou bien il nous faut admettre que chacun d’eux est indestructible, immortel et divin ; ou bien chacun d’eux a une vie de telle durée qu’elle lui suffise pleinement, et qu’il ne puisse d’aucune manière avoir besoin d’une plus longue existence ».

Les êtres vivants du domaine terrestre sont tous, au contraire, soumis à la mort[2].

Les enseignements de l’Épinomide offrent, à notre avis, un grand intérêt ; ils établissent, en effet, le passage entre la théorie des quatre éléments telle qu’elle est exposée au Timée, et la théorie des cinq substances simples telle que la développera Aristote.

Pour passer de l’une de ces théories à l’autre, il suffira presque d’un changement de nom. Ce que l’Épinomide appelle feu, Aristote le nommera cinquième essence ou, parfois, éther ; le feu pour l’un, la cinquième essence pour l’autre, seront le séjour des astres dont la marche est assujettie à des règles fixes. En revanche, ce que l’Épinomide appelle éther, ce qu’il place entre le domaine des astres et l’air, Aristote le désignera sous le nom de feu.

Entre la doctrine de l’Épinomide et celle du De Cælo, les distinctions ne se marqueront que par des nuances. Le dialogue platonicien ménage une transition, une sorte de continuité entre le feu et les quatre éléments qui lui sont subordonnés ; cette transition, le traité péripatéticien la brisera pour creuser une coupure abrupte entre la cinquième essence et les autres éléments. Les corps des astres seront formés de cette cinquième essence sans aucun mélange, si faible qu’en soit la proportion, des quatre autres éléments. Entre l’immortalité et la longévité, Aristote n’hésitera plus ; il déclarera les corps célestes purement incorruptibles. Sa Physique définira donc les cinq substances avec lesquelles elle construit le Monde en accentuant les caractères que l’Épinomide avait tracés.

  1. Platon, Épinomide, 981-982 ; éd. cit., p. 508.
  2. Platon, Épinomide, 984 ; éd. cit., p. 510.