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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE

Celles-ci sont invariables et éternelles ; insaisissables aux sens, elles ne sont accessibles qu’à la raison ; ce sont les essences spécifiques.

Or, pour acquérir quelque connaissance de ces réalités permanentes, Platon recourra à ce qu’il a nommé lui-même un mode de raisonnement bâtard, intermédiaire entre la connaissance rationnelle et la connaissance sensible, au raisonnement géométrique. Lorsqu’aux qualités visibles et tangibles des corps concrets, il aura substitué les propriétés géométriques de certaines figures, il aura la conviction qu’il contemple quelque chose de l’absolue réalité des essences spécifiques.

Cette conviction, nous la retrouverons lorsque nous examinerons comment il conçoit la théorie des mouvements célestes.

Cette persuasion que la Géométrie nous permet seule d’accéder, au moins en quelque manière, à la connaissance des réalités suprasensibles a sans doute déterminé l’évolution que la théorie des éléments a subie dans l’œuvre de Platon.

En décrivant les polyèdres réguliers, la Géométrie nous révèle l’essence propre des éléments. Or ce principe se heurte tout aussitôt à une grave objection. Il y a cinq polyèdres réguliers convexes, tandis qu’il n’existe que quatre éléments ; le tétraèdre, l’octaèdre, l’icosaèdre et le cube engendrent respectivement le feu, l’air, l’eau et la terre ; mais le dodécaèdre pentagonal demeure sans emploi.

Ce disparate, nous l’avons remarqué, n’a pas échappé à la vue de Timée ; et Platon en devait être particulièrement offusqué ; toute sa doctrine le pressait d’admettre l’existence d’une cinquième matière élémentaire qui parachevât l’union entre la Physique des éléments et la Géométrie des polyèdres réguliers. Cette cinquième substance, il finit probablement pareil admettre l’existence.

Le dialogue qui, sous le nom d’Épinomide, se trouve à la fin des œuvres de Platon est, comme son titre l’indique, un supplément au dialogue des Lois. Les Lois furent composées par Platon en son extrême vieillesse. Quant à l’Épinomide, les uns pensent que Platon l’a composé à la fin de sa vie et que son disciple Philippe d’Oponte l’a mis en ordre ; les autres, sur l’autorité de Diogène de Laërte, croient que Philippe d’Oponte l’a écrit ; ce dialogue nous apporte, en tous cas, un écho fidèle des derniers enseignements de Platon.

Or, dans l’Épinomide, il est dit[1] qu’« il existe vraisemblablement cinq corps solides dont on peut composer les choses les plus

  1. Platon, Épinomide, 981 (Platonis Opera. Ex recensione Schneideri, Parisiis, A. Firmin Didot, 1846 ; vol. II, pp. 507-508).