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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE

On peut dire de l’Univers, de l’ensemble des choses autres que le lieu, qu’elles ont un lieu ; ce lieu, c’est la frontière même qui borne l’Univers ; c’est, en effet, par la puissance du lieu que cet Univers est contraint d’occuper telle étendue limitée, de même que chaque corps est réduit à telle dimension par la pression ou la tension que le lieu exerce sur lui.

Citons les passages de Simplicius d’où se peut extraire cette doctrine d’Archytas :

Après avoir rapporté une remarque de Jamblique, le Commentateur Athénien poursuit en ces termes[1] :

« Si toutefois, comme Archytas semble vouloir l’insinuer, le lieu possède l’existence par lui-même, si absolument aucun corps ne peut exister à moins d’être dans le lieu, c’est le lieu qui impose des limites aux corps et qui se borne lui-même. En effet, si le lieu subsistait, dépourvu de toute force, au sein du vide infini, s’il se trouvait dans l’espace sans posséder une certaine consistance, il faudrait donc que ses bornes lui fussent imposées du dehors. Mais il possède une puissance active, une essence incorporelle qui est bornée ; il empêche le volume des corps de croître ou de décroître indéfiniment ; à ce volume, il assigne en lui-même des limites ; à proprement parler, donc, c’est, de lui-même qu’il impose un terme (τὸ πέρας) aux corps. C’est ce qu’Archytas déclarait lorsqu’il disait : « Puisque tout ce qui se meut se meut en un lieu, il est clair qu’il faut qu’un lieu subsiste tout, d’abord, lieu dans lequel existeront ensuite ce qui meut, et ce qui subit l’action motrice. Peut-être donc, d’après cela, le lieu est-il le premier de tous les êtres, puisque tout être ou bien est en un lieu, ou bien ne peut exister indépendamment du lieu ». Archytas suppose avec raison que le lieu est antérieur (πρεσϐύτερον) à toutes les choses qui agissent ou pâtissent, puisque les choses logées ont toujours une existence simultanée à celle du lieu ; c’est pourquoi Archytas dit : « Peut-être le lieu est-il le premier des êtres ». Si les êtres sont tous en un lieu ou ne peuvent exister sans un lieu, il est manifeste que l’existence du lieu ne résulte pas de celle des autres êtres. »

Plus loin, Simplicius s’exprime en ces termes[2] « Archytas attribue la même propriété au lieu lorsqu’il dit : « C’est le propre du lieu que toutes les autres choses soient en lui, tandis que lui-même n’est en rien (αὐτὸν δὲ ἐν μεδενί). S’il était, en effet, en un certain lieu, ce lieu-là serait à son tour en un autre lieu,

  1. Simplicii Op. laud., (Περὶ τῆς ποῦ ϰατηγορίας ; éd. cit., p. 361.
  2. Simplicii, loc. cit. ; éd. cit., p. 363.