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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE

exercées par les éléments et, à son tour, de communiquer son mouvement aux corps qui sont plongés en lui. La notion d’espace géométrique, que le mot χώρα exprimait tout d’abord, s’est graduellement matérialisée ; la χώρα est devenue, premièrement, ce qu’il y a de permanent dans les éléments, l’analogue de la ὕλη, d’Aristote : elle est devenue, ensuite, le principe qui a ordonné le chaos primitif et qui, à chaque élément, a assigné son lieu naturel.

On serait donc singulièrement déçu si l’on cherchait une suite logique rigoureuse en la théorie de l’espace et du lieu que le Timée nous propose. Cette théorie, cependant, mérite attention, car Platon, en la formulant, a cherché le premier, au dire d’Aristote[1] à résoudre le grand problème du lieu et du mouvement. « Tous déclarent que le lieu est quelque chose ; mais lui seul a tenté de dire ce qu’il était. »


IV
ARCHYTAS DE TARENTE ET SA THÉORIE DE L’ESPACE

Cet éloge est-il entièrement mérité et ne s’appliquerait-il pas à Archytas de Tarente plus justement qu’à Platon ?

Le Pythagoricien Archytas naquit à Tarente vers l’an 440 av. J.-C. et périt vers 360, dans un naufrage, sur les côtes d’Apulie. Platon le connut pendant son voyage en Italie et entretint un commerce de lettres avec lui, en sorte qu’il n’est pas permis de négliger l’influence que les doctrines d’Archytas ont pu exercer sur celles de Platon.

Parmi les ouvrages qu’Archytas avait composés, il se trouvait un livre Sur les termes qui désignent l’Universel (Περὶ τῶν ϰαθόλου λόγων)[2] ; ce livre était parfois plus brièvement intitulé[3] : De l’Universel (Περὶ τοῦ παντός). Ce traité est aujourd’hui perdu[4], mais Simplicius, en son Commentaire auxe Catégories d’Aristote, y fait de nombreuses allusions et en cite divers fragments.

Or, en cet ouvrage, Archytas, selon l’usage pythagoricien qui faisait du nombre dix un nombre sacré, a classé en dix chefs d’ac-

  1. Aristote, Physique, t. IV, chap. II [IV] (Aristotelis Opera, éd. Didot, t. II, p. 286 ; éd. Bekker, vol, I, p, 209. col. b).
  2. Simplicii In Aristotelis Categorias Commentarium. Edidit Carolus Kalbfleisch, Berolini, MCMVII, Proœmium, p. 13.
  3. Simplicii Op. loc., p, 2.
  4. On a donné, sous le titre ; Architæ Tarentini decem prœdicamenta (Venetiis, apud Rutilium Borgominerium, 1561) ou sous le titre : Τὰ ἐν τῇ (sic) βιϐλίῳ τῷδε ἐστι τάδε. Ἀρχυτου φερόμενοι δέϰαλόγοι ϰαθολιϰοὶ… (Lipsiæ, apud E. Voegelium, s. d.) une soi-disant édition, purement apocryphe, de cet ouvrage.