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L’ASTRONOMIE DES EXCENTRIQUES ET DES ÉPICYCLES

Après avoir, de la pratique, distingué les sciences théoriques, Ptolémée déclare souscrire à la division des sciences théoriques, proposée par Aristote[1], en Physique, Mathémathique et Théologie.

La Mathématique est intermédiaire aux deux autres ; elle ne l’est pas seulement pour la raison que dit Aristote, parce qu’elle traite, d’une part, d’objets changeants et variables au sujet desquels la Physique spécule également, et, d’autre part, d’objets éternels et immuables qui sont nécessairement divins ; elle l’est aussi par la méthode qui nous en fait acquérir la science, méthode qui participe, à la fois, de la connaissance sensible et de l’intuition ; en sorte que nous la concevons, en même temps, par les sens et sans le secours des sens : « Οὐ μόνον τῷ ϰαὶ δι’ αἰσθήσεως ϰαὶ χωρὶς αἰσθήσεως δύνασθαι νοεῖσθαι… »

Ptolémée reconnaît donc au raisonnement géométrique ce caractère croisé, bâtard (λογισμός νόθος) que Platon lui attribuait[2].

Ce raisonnement est aussi, et grâce à cette double participation, le seul qui puisse donner à l’homme une possession certaine de la vérité : « Lorsqu’on a médité toutes ces choses, on dirait volontiers que les deux autres genres de spéculations théoriques sont objets de conjecture plutôt que de connaissance scientifique ; ce qui est théologique, parce qu’il échappe absolument à la vue et au toucher ; ce qui est physique, par suite du caractère inconstant et caché de la matière ; en sorte que, par là-même, on doit perdre tout espoir que ceux qui philosophent parviennent à mettre d’accord leurs opinions touchant ces sciences.

» Seule la Mathématique, pourvu qu’on en aborde l’étude avec une scrupuleuse rigueur, est capable de fournir, à tous ceux qui en font usage, une connaissance ferme et inébranlable ; connaissance engendrée par nue démonstration qui procède suivant des méthodes sauves de toute controverse, savoir l’Arithmétique et la Géométrie.

» De préférence à toute autre étude, nous avons été poussés à nous attacher d’une manière spéciale, autant qu’il est en notre pouvoir, à la théorie que l’on a conçue au sujet des corps divins et célestes ; elle est la seule qui prenne pour objet de ses considérations les choses qui sont toujours et qui se comportent toujours de la même manière ; par cela même, à l’égard des connaissances exemples de toute obscurité et de toute confusion qui forment son domaine propre, il lui est donné d’être toujours et de

  1. Aristote, Métaphysique, livre V, ch. I ; éd. Didot, t. II, p. 535 ; éd. Bekker, vol. II, p. 1026.
  2. Voir : Chapitre II, § III, p. 37.