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L’ASTRONOMIE DES EXCENTRIQUES ET DES ÉPICYCLES


examen, et même, le plus souvent, sans énoncer explicitement ce postulat.

Et cependant, il devait bien se rencontrer, de leur temps, quelques hommes assez érudits pour savoir que d’éminents physiciens avaient nié ce postulat ou assez sceptiques pour le révoquer en doute à leur tour. Cicéron savait qu’Hicétas attribuait le mouvement diurne à la Terre, et que certains prétendaient retrouver cette hypothèse jusque dans le Timée[1]. D’autre part, Sénèque écrivait, dans ses Questions naturelles[2]  : « À ce propos, il y aurait lieu de discuter si le Monde tourne autour d’une Terre immobile ou bien si la Terre tourne au sein d’un Monde qui demeure en repos. Il s’est rencontré des philosophes, en effet, pour affirmer que c’est nous que la nature emporte à notre insu ; que les levers et les couchers des astres ne proviennent pas du mouvement du Ciel ; que c’est nous-mêmes qui nous couchons ou nous levons. C’est là une question bien digne d’être méditée, afin que nous sachions en quel état nous nous trouvons réellement. Notre demeure est-elle la plus immobile de toutes ou bien celle qui se meut le plus vite ? Dieu nous meut-il ou meut-il l’Univers autour de nous ? »

Ptolémée avait sans doute trouvé, dans ses conversations ou dans ses lectures, des philosophes qui attribuaient à la Terre un certain mouvement ou qui doutaient de l’immobilité de ce corps. C’est pourquoi il énonce formellement[3] ce postulat « que la Terre n’effectue aucun mouvement qui la fasse changer de place, ὅτι οὐδὲ ϰίνησίν τινα μεταϐατιϰὴν ποιεῖται ἡ γῆ ». C’est pourquoi il étaye ce postulat de toutes les preuves que lui fournit la Physique.

La Physique dont use Ptolémée pour démontrer l’immobilité de la Terre est, en grande partie, empruntée au Περὶ Οὐρανοῦ, encore que quelques altérations défigurent la pensée du Stagirite.

Ptolémée commence par démontrer « que la Terre ne peut éprouver aucun mouvement qui la déplace en partie d’un certain côté du centre ni qui lui fasse occuper quelque lieu que ce soit entièrement hors du centre ».

À la théorie péripatéticienne de la pesanteur, qui porte tous les corps graves vers le centre du Monde, l’Astronome de Péluse demande la démonstration de ce premier théorème

  1. Voir Chapitre I, § IV, pp. 22-23.
  2. Sénèque, Questions naturelles, livre VII, ch. II.
  3. Claude Ptolémée, Composition mathématique, livre I, chap. VI ; éd. Halma, t. I, pp. 17-21 ; éd. Heiberg, Α′, ζ′, pp. 21-26.