Page:Duhem - Le Système du Monde, tome I.djvu/488

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
480
LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE


argument que son peu de force démonstrative n’a pas empêché de devenir classique : « Si, sur mer, venant d’un point quelconque et naviguant dans une direction quelconque, nous voguons vers des montagnes ou vers des objets élevés, nous voyons, en quelque sorte, ces objets émerger du sein de la mer : avant de nous apparaître, ils étaient cachés par la courbure de la surface de l’eau. »

Si toute cette argumentation nous révèle l’influence de Posidonius et celle d’Adraste d’Aphrodisias, elle semble, en revanche, se soustraire à l’influence de la Physique péripatéticienne. La théorie de la gravité, par exemple, n’y est aucunement invoquée pour expliquer la figure sphérique de la terre et des mers.

« Il est particulièrement singulier[1] que l’on ne retrouve ni dans Ptolémée ni dans les cosmographes élémentaires l’argument le plus sérieux que l’Antiquité ait connu, argument que pourtant Aristote avait déjà mis en avant, à savoir que, dans les éclipses de Lune, la limite de l’ombre de la Terre affecte toujours la forme circulaire. Sans doute, cette preuve avait été écartée comme pouvant difficilement être invoquée au début d’une exposition méthodique, peut-être comme exigeant, pour son développement, un appareil géométrique incompatible avec les éléments de la Science. »


IX
L’IMMOBILITÉ DE LA TERRE SELON PTOLÉMÉE

L’exemple que nous venons de citer nous montre comment Ptolémée, dans ce qu’il a écrit sur les postulats physiques de l’Astronomie, n’a guère fait que répéter ce qu’en disaient communément les divers traités composés depuis le temps d’Hipparque.

Dans ses raisonnements sur l’immobilité de la Terre, il est ou, tout au moins, il paraît plus original.

En effet, depuis l’époque où Aristote, au Περὶ Οὐρανοῦ, a traité cette question, aucun des ouvrages astronomiques parvenus à notre connaissance n’en a repris la discussion. Nous ignorons ce qu’Aristarque ou Séleucus objectaient, pour les réfuter, aux arguments du Stagirite. Quant aux précurseurs immédiats de Ptolémée, aux Cléomède, aux Pline l’Ancien, aux Adraste d’Aphrodisias, aux Théon de Smyrne, ils ont tous admis le repos de la Terre sans aucun

  1. Paul Tannery, Recherches sur l’histoire de l’Astronomie ancienne, ch. V, 1, p. 103.