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L’ASTRONOMIE DES EXCENTRIQUES ET DES ÉPICYCLES

terre et l’entourent. Il semble attribuer la légèreté non seulement au feu, mais encore à l’air ; à cette légèreté, par une doctrine singulière, il attribue la suspension de la masse pesante de la terre et de l’eau au centre du Monde, et l’immobilité de cette masse : « Suspendue par la puissance de cette légèreté, la terre, accompagnée de l’eau qui est le quatrième élément, demeure en équilibre au milieu de l’espace. Ainsi, de ce que les éléments divers s’embrassent les uns les autres, un lien se trouve établi : le poids des éléments graves empêche les éléments légers de s’envoler dans l’espace ; les graves, au contraire, ne sauraient se précipiter vers le bas, car ils se trouvent suspendus par les corps légers qui tendent vers le haut. Grâce à ces deux efforts, de sens opposés, mais de puissance égale, les quatre éléments demeurent immobiles par leurs propres forces, tandis qu’autour d’eux se poursuit l’incessante circulation du Monde. »

De cette curieuse théorie, nous ne rencontrons, dans la Science antique, aucun adepte autre que Pline ; mais au temps de la Renaissance, elle séduira des hommes tels que Nicolas de Cues et Léonard de Vinci.

Cette théorie de la pesanteur n‘a rien qui rappelle l‘enseignement d’Aristote. Pline ne se montre guère plus enclin à la philosophie péripatéticienne lorsqu’en une autre partie de son livre, il traite[1] de la rotondité de la terre et l’explique pur la continuelle pression que le ciel exerce sur ce corps, moyeu autour duquel s’effectue sa rotation.

La rotondité des mers est mise en évidence par ce fait que le rivage se laisse découvrir du sommet du mât, alors que, du pont du navire, il demeure invisible. Pline explique cette rotondité en reproduisant, sous une forme bien sommaire et bien imprécise d’ailleurs, l’argument mécanique d’Aristote et d’Adraste d’Aphrodisias ; il admire « la subtilité géométrique dont ont fait preuve les inventeurs grecs, en créant cette très heureuse et très glorieuse doctrine ».

À cette preuve physique de la rotondité des mers, Pline[2] en joint une autre, qui n’est point d’Aristote, et qu’il avait rencontrée, sans doute, dans les écrits de Posidonius ou de quelque autre philosophe grec. On s’étonne, dit-il, que l’eau prenne spontanément la figure d’une sphère ; « et cependant, il n’y a rien de plus manifeste dans toute la nature ; partout, les gouttes suspen-

  1. Pline l’Ancien, Op. laud., lib. II, cap. LXIV.
  2. Pline L’Ancien, Op. laud., lib. II, cap. LXVLXV.