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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE


sorte d’axiome évident. Quelle cause a pu, dans cet intervalle de temps, produire un semblable changement ? On n’en aperçoit autre que l’intervention de l’hypothèse héliocentrique.

Il est donc tentant, et Paul Tannery[1] et le R. P. Thirion[2] semblent nous y inviter, de regarder la relation


relative aux planètes supérieures, comme un apport de l’hypothèse héliocentrique et comme une preuve que la théorie des excentriques et des épicycles a dérivé de cette hypothèse.

Prenons comme acquise la thèse si savamment soutenue par Paul Tannery et par G. Schiaparelli ; admettons qu’a une certaine époque, les astronomes aient placé, dans la Terre immobile, le centre des mouvements propres de la Lune et du Soleil, et qu’ils aient fait circuler les cinq planètes autour du Soleil. Peut-on deviner la cause pour laquelle ils ont renoncé à ce système si propre à satisfaire à la fois aux préceptes de la Physique et aux exigences de l’Astronomie ? Peut-on soupçonner la raison qui les a engagés à faire tourner épicycles et excentriques autour de centres purement abstraits, de points où ne se trouve aucun corps céleste ?

Qu’il nous soit permis d’émettre, à cet égard, une conjecture.

La cause qui a obligé les astronomes à renoncer aux épicycles et aux excentriques héliocentriques pour adopter des épicycles et des excentriques à centres purement géométriques pourrait bien être le désir d’expliquer l’inégalité des saisons,

Nous avons vu[3] combien la marche irrésrulière du Soleil, découverte par Thalès, confirmée par les déterminations d’Euctémon, avait, dès le temps de Calippe, préoccupé les astronomes. Nous avons vu également[4] que la théorie héliocentrique d’Aristarque de Samos n’avait rien donné qui fût capable de sauver cette anomalie ; en effet, au rapport très précis d’Archimède, cette théorie faisait décrire à la Terre, d’un mouvement uniforme, un cercle dont le centre coïncidait avec celui du Soleil. Lorsque se produisit. la transposition admise par Paul Tannery et par G. Schiaparelli, lorsqu’on rendit l’immobilité à la Terre tout en conservant aux divers corps célestes les mêmes mouvements relatifs qu’en la

  1. Paul Tannery, Op. laud. ch. XIV, art. 6, pp. 648-650.
  2. J. Thirion S. J., L’évolution de l’Astronomie chez les Grecs, Paris, 1901, pp. 232-233.
  3. Voir Ch. III, pp. 107-109.
  4. Voir Ch. VII, p. 430.