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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE

» De même, si l’on juge des choses les plus grandes et les plus dignes, des choses divines, par comparaison avec les choses petites, fortuites et mortelles, dans le Monde universel, le centre du volume sera au voisinage de la Terre qui est froide et immobile ; mais le centre d’animation du Monde, en tant qu’il est ordonné et vivant se trouvera auprès du Soleil, qui est, en quelque sorte, le centre de l’Univers, et d’où, dit-on, l’Âme du Monde tire son principe pour pénétrer dans le corps universel et s’étendre jusqu’aux extrémités. »

Comment le Soleil pourrait-il être appelé cœur de l’Univers si ce mouvement commun des corps qui l’entourent (συνοδία τῶν περὶ αὐτὸν) se réduisait aux seules circulations de Vénus et de Mercure ? Ne faut-il pas que le plus grand nombre des astres errants tournent autour de lui, tandis qu’il tourne lui-même autour de la Terre, centre immobile de la sphère du Monde ?

Les paroles de Théon de Smyrne semblent donc garder, sous une forme imagée mais indécise, le souvenir à demi effacé d’un système astronomique analogue à celui que proposera Tycho Brahé.

Ce souvenir semble s’être conservé fort longtemps, car au commencement du ve siècle de notre ère, Ambroise Théodose Macrobe ne l’a pas entièrement oublié. Dans son Commentaire au Songe de Scipion, épisode célèbre que Cicéron avait inséré dans sa République, Macrobe s’arrête[1] à cette phrase du grand orateur : « Le Soleil est le chef et le prince des autres luminaires ; il en est le modérateur ; il est l’intelligence du Monde, et c’est lui qui le tempère ». Voici les réflexions que cette phrase lui suggère :

« Le Soleil est appelé le modérateur des autres astres parce que c’est lui qui contient dans les limites précises d’une certaine distance la marche directe (cursus) et la marche rétrograde (recursus) de ces astres. Il existe, en effet, pour chaque astre errant, une distance, définie avec précision, telle que l’étoile, lorsqu’elle est parvenue à cette distance du Soleil, semble tirée en arrière, comme s’il lui était défendu de passer outre ; inversement, lorsque sa marche rétrograde l’a conduite au contact d’un certain point, elle se trouve rappelée à la course directe qui lui est coutumière. Ainsi la force et le pouvoir du Soleil modèrent le mouvement des autres luminaires et le maintiennent dans une mesure fixée. »

On entend ici Macrobe étendre à tous les luminaires, c’est-à-dire

  1. Theodosii Ambrosii Macrobii Commentarius ex Cicerone in Somnium Scipionis, lib. I, cap. XX.