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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE

III
LA THÉORIE DE L’ESPACE ET LA CONSTITUTION GÉOMÉTRIQUE DES ÉLÉMENTS SELON PLATON

La Physique que Platon professe au Timée paraît étroitement reliée à la Physique de Leucippe et de Démocrite[1]. Le rôle que ceux-ci attribuaient au non-être, au rien-du-tout, au vide (τὸ μὴ ὂν, τὸ μηδὲν, τὸ ϰενόν), Platon l’attribue à ce qu’il nomme l’espace (ἡ χώρα)[2].

Platon, nous l’avons vu, place d’abord au sommet de la réalité les idées des choses, idées qui ne sont susceptibles ni de génération ni de changement ni de destruction, idées qui ne tombent pas sous les sens, qui ne peuvent être connues que par l’intuition rationnelle (νόησις). Ces idées constituent proprement l’être permanent ou simplement l’être (τὸ ὂν).

Au degré le plus bas de la réalité, au contraire, se trouvent les êtres changeants, qui naissent et périssent, et qui sont connus par la perception sensible (αἴσθησις) ; l’ensemble de ces êtres, Platon le nomme souvent la génération (ἡ γένεσις).

À ces deux catégories d’êtres, Platon en adjoint une troisième, et cette troisième catégorie est constituée par l’espace (ἡ χώρα). « Voici, dit-il, quelle est, en résumé, l’expression de mon opinion : L’être, l’espace et la génération existent, et ces trois choses existent de trois manières différentes. Ὄν τε ϰαὶ χώραν ϰαὶ γένεσιν εἶναι, τρία τριχῆ.

Pourquoi faut-il admettre l’existence de cet espace ? Ce qui est soumis à la génération et à la corruption « est en mouvement local ; il commence d’exister en un certain lieu puis, ensuite, il cesse d’être en ce lieu — πεφορημένον ἀεὶ, γιγνόμενόν τε ἔν τινι τόπῳ ϰαὶ πάλιν ἐϰεῖθεν ἀπολλύμενον. Ce mouvement local, qui est, pour un être changeant, commencement d’existence en un

  1. Sur les rapports des doctrines de Platon avec celles de Démocrite, voir : Albert Rivaud, Le problème du devenir et la notion de la matière dans la Philosophie grecque depuis les origines jusqu’à Théophraste ; thèse de Paris, 1905, § 215, pp. 309-311.

    Ingeborg Hammer Jensen, Demokrit und Plato (Archiv für Phliasophie, I, Archiv für Geschichte der Philosophie, Bd. XVI, pp. 92-105 et pp. 211-229 ; 1910).

  2. Sur les diverses attributions de la χώρα dans Platon, voir Albert Rivaud, Op. laud., l. III, cc. II, III et IV ; pp. 283-315.