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LES ASTRONOMIES HÉLIOCENTRIQUES


d’Héraclide, d’Aristarque et de Séleucus pour condamné par les principes les plus sûrs de la Mécanique ?

Si la Physique d’Aristote ou des Stoïciens donnait à l’astronome, pour affirmer que la Terre était fixe et qu’elle n’avait pas même nature que les astres errants, des raisons qu’il avait tout lieu de juger bonnes, la Religion, de son côté, lui imposait ces opinions à titre de préceptes sacrés. Les obstacles qu’au xviie siècle, le Protestantisme, puis l’Église catholique opposèrent aux progrès de la doctrine copernicaine ne peuvent nous donner qu’une faible idée des accusations d’impiété qu’eût encouru, de la part du Paganisme antique, le mortel assez osé pour ébranler l’immobilité perpétuelle du foyer de la divinité, pour assimiler ces êtres incorruptibles et divins que sont les astres à la Terre, domaine humilié de la génération et de la mort. Écoutons Paul Tannery[1] : « Galilée, d’une part, fonda sur l’expérience les véritables lois de la Dynamique, montra de l’autre, par des découvertes célèbres, que la croyance à une différence de nature entre les astres et notre globe était un préjugé sans fondement. Si les partisans des anciennes doctrines purent le faire condamner par l’Église, les dogmes chrétiens ne lui opposaient en réalité aucun obstacle ; il eût probablement couru des dangers beaucoup plus sérieux s’il avait eu à lutter contre les superstitions astrolatriques de L’Antiquité. » Nous avons vu, d’ailleurs, comment Cléanthe souhaitait que les Grecs condamnassent Aristarque pour crime d’impiété ; et cette condamnation, l’aveugle et crédule vulgaire n’eût pas, sans doute, été seul à la porter ; elle eût pu s’autoriser des doctrines théologiques d’Aristote aussi bien que de celles de Platon.

Si le physicien voulait des hypothèses conformes à la réalité, si le théologien exigeait que ces hypothèses respectassent la hiérarchie des dieux, l’astronome demandait seulement qu’on lui donnât des combinaisons de mouvements circulaires et uniformes propres à sauver les mouvements apparents du Soleil, de la Lune et des planètes. Mais ces combinaisons, le système d’Aristarque de Samos était bien loin de les lui fournir.

Sans doute, les mouvements imaginés par Héraclide et par Aristarque sauvaient d’une manière qualitative les grandes inégalités planétaires. Mais l’astronome souhaitait quelque chose de plus ; il voulait des règles qui lui permissent de calculer d’avance, avec précision, les mouvements apparents des astres errants ; or,

  1. Paul Tannery, Recherches sur l’histoire de l’Astronomie ancienne, ch. IV, 19, p. 102.