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LA COSMOLOGIE DE PLATON

Démocrite, nous dit Plutarque[1] affirmait que le quelque-chose n’a pas plus d’existence que n’en a le rien-du-tout ; il donnait, en effet, le nom de quelque-chose au corps et le nom de rien-du-tout au vide. — [Δημόϰριτος] διορίζεται μὴ μᾶλλον τὸ μηδὲν εἶναι Δὲν μὲν ὀνομάζων τὸ σῶμα, μηδὲν δὲ τὸ ϰενόν. »

Aristote s’exprime plus explicitement encore[2] : « Leucipe et son ami Démocrite affirment que les éléments (στοιχεῖα) sont le plein (τὸ πλῆρες) et le vide (τὸ ϰενόν) ; le premier, ils disent que c’est l’être (τὸ ὄν), et le second que c’est le non-être (τὸ μὴ ὄν) ; de ces deux éléments, l’être est ce qui est plein et rigide (τὸ πλῆρες ϰαὶ τὸ στερεόν), tandis que le non-être est ce qui est vide et sans résistance (τὸ ϰενόν ϰαὶ μανόν). Le non-être donc, à leur avis, n’existe pas moins que l’être, car le vide n’existe pas moins que le corps. »

Dans cet espace vide, réellement existant au même titre que les corps pleins, ceux-ci se meuvent, et nul doute que Leucippe et Démocrite n’aient attribué à ce mouvement tous les caractères d’un mouvement absolu.

Cette doctrine qui loge les corps pleins dans un espace vide doué d’une réalité égale à celle des corps qu’il contient, toute l’École atomistique l’a professée ; Lucrèce, au premier livre de son De rerum natura l’a formulée en de beaux vers :

Omnis, ut est, igitur, per se, Natura, duabus
Consistit rebus ; nam corpora sunt, et inane,
Hæc in quo sita sunt, et qua diversa moventur ;
Corpus enim per se communis deliquat esse
Scusus ; quo nisi prima il des fonda ta valebit,
Haud erit occultis de rebus quo referentes
Confirmare animi quicquam ratione queamus.
Tum porro locus, ac spatium, quod inane vocamus,
Si nullum foret, haud usquam sita corpora possent
Esse, neque omnino quoquam diversa meare ;
Id quod jam supera tibi paullo ostendimus ante.

Præterca nihil est, quod possis dicere ab omni
Corpore sejunctum, secretumque esse ab inani ;
Quod quasi tertia sit rerum natura reperta.

. . . . . . . . . . . . . . . .

Ergo præter inane, et corpora, tertia per se

Nulla potest rerum in numero natura relinqui.

  1. Plutarchus, Adversus Coloten, IV, 2.
  2. Aristote, Métaphysique, livre I, ch. IV (Aristotelis Opera, éd. Didot, t. II, p. 474 ; éd. Bekker, vol. II, p. 985, col. b).