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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE


celui-ci, le pouvoir de représenter une multitude aussi grande que l’on veut par une combinaison régulière d’un nombre limité de signes. Pour donner au roi Gélon un exemple saisissant de sa méthode, le géomètre de Syracuse va lui montrer comment elle permet de figurer le nombre des grains de sable qui rempliraient la sphère du Monde.

En cette sorte de gageure, Archimède veut se montrer beau joueur et faire appel, pour évaluer le volume du Monde, au système astronomique qui attribue à ce volume la plus grande valeur ; c’est ce qui le conduit à parler des hypothèses d’Aristarque de Samos.

« Tu n’es pas sans savoir », poursuit le grand géomètre[1], « que la plupart des astronomes donnent le nom de Monde à une sphère dont le centre est le centre de la Terre et qui est décrite par une ligne droite issue de ce centre et égale à la droite menée du centre du Soleil au centre de la Terre. Mais, rejetant ces propositions que l’on trouve dans les livres composés par les astronomes, Aristarque de Samos a publié certains écrits relatifs aux hypothèses (ὑποθεσιῶν γϱάφας) ; des fondements posés en ces écrits (ἐϰ τῶν ὑποϰειμένων), il résulte que le Monde est beaucoup plus grand que celui dont nous venons de parler. Il admet, en effet, l’hypothèse que la sphère des étoiles inerrantes et le Soleil demeurent immobiles ; quant à la Terre, elle se meut suivant une circonférence de cercle tracée autour du Soleil, qui se trouve au centre du cours de la Terre. La sphère des étoiles inerrantes est décrite autour du même centre que le Soleil ; il dit qu’elle est tellement grande que [le rayon de] la circonférence selon lequel, par hypothèse, la Terre circule a, à la distance des étoiles fixes, le même rapport que le centre de la sphère à la surface de cette même sphère. Il est évident que cela est impossible, car le centre d’une sphère n’a pas de grandeur ; il n’est donc pas possible d’admettre qu’il ait un rapport quelconque à la surface de cette sphère. Nous devons croire qu’Aristarque a entendu ce qui suit : Le rapport qui existe entre la Terre que nous supposons placée au centre du Monde et ce que nous appelons le Monde est égal au rapport qui existe entre la sphère sur laquelle est tracé le cercle que la Terre parcourt selon les suppositions d’Aristarque, et la sphère des étoiles fixes. Telle est l’hypothèse qu’il est conduit à faire par des démonstrations adaptées aux apparences célestes.

» Il apparaît clairement que la sphère sur laquelle il admet que

  1. Archimedis Opera, éd. Heiberg, vol. II, pp. 218-221. Cf. Sir Thomas Heath, Op. laud., p. 302.