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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE


commentaire très satisfaisant de ces mots : ὅτι… δύναται ἡ περὶ τὸν ἥλιον φαινομένη ἀνωμαλία σῴζεσθαι. Mais elles ne nous présentent rien qui serve à éclaircir le sens de ces autres mots : ϰινουμένης πως τῆς γῆς, τοῦ δὲ ἡλίου μένοντός πως. Pour sauver de la sorte les grandes inégalités planétaires, il n’est aucunement besoin de mouvoir la Terre ni d’ôter aucun mouvement au Soleil ; on peut, en même temps que ces hypothèses, garder la supposition du repos terrestre et tracer ainsi une sorte de première esquisse du système de Tycho Brahé.

Voyons donc comment G. Schiaparelli interprète celle des paroles d’Héraclide qui n’ont pas encore été expliquées.

Il admet[1], tout d’abord, que l’adverbe πῶς, mis après les mots τοῦ δὲ ἡλίου μένοντός, est une pure redondance et doit être négligé ; le Soleil, pour Héraclide, n’est pas en repos d’une certaine façon ; il est purement et simplement immobile. La Terre est alors en mouvement d’une certaine manière ; et cette manière nous est sûrement comme si nous admettons qu’Héraclide néglige, comme Eudoxe, comme Polémarque de Cyzique, l’inégalité des saisons et les variations du diamètre apparent du Soleil ; le mouvement de la Terre est, en sus de la rotation diurne, une marche uniforme sur un cercle dont le Soleil est le centre.

Tel serait donc, selon G. Schiaparelli[2], le système auquel Héraclide faisait allusion dans le fragment cité par Posidonius :

Le Soleil est immobile au centre du Monde ; la Terre et les cinq planètes tournent autour du Soleil ; les cercles décrits par Mercure et par Vénus sont plus petits que le cercle décrit par la Terre ; au contraire, les orbites de Mars, de Jupiter et de Saturne embrassent l’orbite terrestre ; le ciel des étoiles fixes est immobile et la rotation de la Terre produit l’apparence du mouvement diurne ; aucun texte ne nous suggère le mouvement qu’Héraclide attribuait à la Lune, mais il ne semble pas qu’il pût faire autrement que de la laisser tourner autour de la Terre. La construction héliocentrique du Paradoxologue nous présente ainsi une première ébauche du système de Copernic.

Cette interprétation du savant astronome italien est, il faut le reconnaître, des plus séduisantes ; sans doute, les suppositions y sont nombreuses, mais elles comblent de la manière la plus heureuse les lacunes qui séparent les textes, trop rares, où les hypothèses d’Héraclide se trouvent mentionnées. Un point demeure obscur, cependant, et pourrait inquiéter l’esprit prêt à adhérer à

  1. G. Schiaparelli, Op. laud., VI, 44 ; loc. cit., p. 90.
  2. G. Schiaparelli, Op. laud., VI, 45-49 ; loc. cit., p. 91-93.