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LES ASTRONOMIES HÉLIOCENTRIQUES


se produit autour du Soleil ; il est très vraisemblable que cette irrégularité, cette περὶ τὸν ἥλιον ἀνωμαλία qui préoccupait Héraclide est identique[1] à celle qu’Hipparque et Ptolémée appellent tantôt[2] ἡ πρὸς τὸν ἥλιον ἀνωμαλία, tantôt[3] ἡ παρὰ τὸν ἥλιον ἀνωμαλία ; et celle-ci est la grande inégalité du mouvement apparent des planètes, celle qui produit les stations et les rétrogradations, celle qu’au temps d’Héraclide, Eudoxe et Calippe s’efforçaient de sauver par des combinaisons de sphères homocentriques.

Cette interprétation de G. Schiaparelli est donc favorisée non seulement par la grammaire, mais encore par l’histoire, puisqu’elle nous montre Héraclide attentif aux phénomènes mêmes qui sollicitaient les efforts des astronomes de son temps.

Qu’Héraclide, d’ailleurs, se soit préoccupé de sauver la grande irrégularité apparente de Vénus, et sans doute aussi celle de Mercure, Chalcidius nous l’a appris, et il nous a enseigné, en même temps, comment le Paradoxologue y parvenait. Le génial artifice de ce philosophe consistait, nous l’avons vu, à prendre le Soleil, et non pas la Terre, pour centre du mouvement de ces deux planètes.

G. Schiaparelli, nous l’avons dit au précédent paragraphe, n’hésite pas à admettre qu’Héraclide avait étendu une semblable hypothèse aux trois autres planètes, à Mars, à Jupiter, à Saturne ; les variations d’éclat que Mars présente sont extrêmement grandes[4] ; au rapport d’Eudème et de Sosigène, les contemporains d’Héraclide avaient été frappés de ces variations et les rapprochaient des changements analogues que présente la lumière de Vénus ; le Paradoxologue devait être naturellement conduit[5] à répéter de Mars ce qu’il avait dit de Vénus, à placer dans le Soleil le centre de la circulation de cette planète-là connue de celle-ci ; mais, à la différence de Vénus, Mars peut s’écarter du Soleil à toute distance angulaire concevable, ce qui exige que son cercle, ayant le Soleil pour centre, embrasse la Terre.

Cette hypothèse une fois admise pour Mars, il était pour ainsi dire forcé qu’elle fût étendue à Jupiter et à Saturne.

Ces considérations, les unes appuyées de textes formels, les autres dirigées par de très plausibles inductions nous donnent un

  1. G. Schiaparelli, Op. laud., VI, 46 ; loc. cit., p. 92.
  2. Composition mathématique de Claude Ptolémée, livre IX, ch. II et livre X, ch. VII (Trad. Halma, vol. II, p. 117, p. 118 et p. 211 ; éd. Heiberg, pars II, p. 209, p. 211 et p. 317.)
  3. Composition mathématique de Claude Ptolémée, livre XII, ch. I (Trad. Halma, vol. II, p. 312 et p. 313 ; éd. Heiberg, pars II, p. 450 et p. 451).
  4. Cet éclat varie dans le rapport de 1 à 24.
  5. G. Schiaparelli Op. laud., II ; loc. cit., pp. 66-68.