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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE


malie, sans prétendre d’ailleurs fournir cette explication. On s’étonnerait que le Paradoxologue eût éprouvé le besoin de formuler une proposition d’une si banale évidence ; on s’étonnerait encore plus que Posidonius y eût pu voir un exemple caractéristique de la liberté laissée à l’astronome dans l’invention des hypothèses propres à sauver les apparences.

Passons à l’explication proposée par Th. H. Martin[1].

Selon Martin, l’anomalie qu’Héraclide se propose de sauver, c’est, comme Bergk l’avait déjà pensé[2], la marche non uniforme du Soleil sur l’écliptique, d’où résulte l’inégalité des saisons ; pour cela, il ne prive pas le Soleil de tout mouvement, mais il le maintient en repos d’une certaine manière, c’est-à-dire qu’il lui laisse un seul mouvement uniforme, d’Occident en Orient, sur l’écliptique ; le mouvement diurne étant déjà sauvé par la rotation diurne attribuée à la Terre, l’anomalie de la marche du Soleil sera sauvée, à son tour, par un autre petit mouvement attribué à la Terre ; quel était, d’ailleurs, cet autre petit mouvement, rien ne nous permet de le conjecturer.

Cette explication se heurte à de fort graves objections que G. Schiaparelli a longuement développées[3]. Elle semble s’égarer bien loin du texte qu’elle se propose de pénétrer, il est difficile de penser qu’Héraclide, en disant que le Soleil demeure immobile d’une certaine manière et que la Terre se meut d’une certaine manière, veuille exprimer que le Soleil décrit un très grand cercle et la Terre une très petite orbite.

D’autre part, au point de vue de la Géométrie, on voit aisément qu’au mouvement uniforme et annuel du Soleil sur l’écliptique, on ne peut associer aucune circulation uniforme de la Terre autour du centre du Monde de telle manière que l’anomalie qui en résulte admette l’année pour période irréductible.

Remarquons, d’ailleurs, que le sens attribué par Bergk et par Martin aux mots ἤ περὶ τὸν ἥλιον φαινομένη ἀνωμαλία semble pécher contre les règles de la grammaire grecque ; pour qu’on pût traduire l’anomalie relative au Soleil, il faudrait qu’il y eût ἤ περὶ τοῦ ἥλιου φαινομένη ἀνωμαλία ; περὶ gouverne le génitif lorsqu’il signifie : au sujet de, relatif à ; avec l’accusatif, il a toujours le sens de : autour.

L’irrégularité qu’il s’agit de sauver est donc quelque chose qui

  1. Th. H. Martin, Op. laud., loc. cit.
  2. Bergk, Fünf Abhandlungen zur Geschichte der griechischen Philosophie und Astronomie, Leipzig, 1883, p. 151.
  3. G. Schiaparelli, Op. laud., VI, 42-45, loc. cit., pp. 89-91.