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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE

extraite d’un tel dialogue ; celui-ci était, peut-être, en entier sous forme de récit, comme la République ; ou bien, comme dans le Phédon ou le Protagoras, un des personnages racontait à ses interlocuteurs une conversation à laquelle il avait assisté. Ce quelqu’un, τίς, qui s’était présenté pour parler, ce qui est le sens propre du mot παρελθών, ce personnage auquel Héraclide ne donnait pas de nom, était sans doute, dans le dialogue, le porte-parole d’Héraclide lui-même, chargé d’exposer les opinions du Paradoxologue.

Si, avec Hermann Diels, nous biffons le mot ἔλεγεν, la traduction change et le commentaire qu’elle avait suggéré disparaît. Il nous faut, en effet, traduire ainsi le début de notre texte : « C’est pourquoi un certain Héraclide du Pont, s’étant présenté, dit que… »

L’étude des manuscrits paraît imposer cette leçon ; et cependant, selon la remarque de G. Schiaparelli[1], elle paraît bien invraisemblable. Comment admettre que Posidonius, que Géminus, qu’Alexandre d’Aphrodisias, ayant à parler d’un philosophe aussi célèbre qu’Héraclide, l’appellent : un certain (τίς) Héraclide du Pont ?

Paul Tannery[2], à son tour, a proposé une interprétation nouvelle et fort ingénieuse du passage en litige.

Selon cette interprétation, le texte primitif de Posidonius était seulement celui-ci : « Διὸ ϰαὶ παρελθών τίς φησιν ὅτι… ». Les mots : Ἡραϰλείδης ὁ Ποντιϰός n’y figuraient pas. Ces mots auraient été ajoutés, en marge d’un manuscrit, par un lecteur désireux de designer plus clairement l’auteur que Posidonius avait appelé simplement : quelqu’un, τίς. Puis, comme il est arrivé en tant de circonstances, un copiste aurait fait passer cette glose de la marge dans le texte, où elle est demeurée depuis ce temps.

S’il en est ainsi, ce n’est plus, comme Paul Tannery en fait la remarque, Posidonius qui nous renseigne au sujet des hypothèses astronomiques d’Héraclide du Pont ; c’est un scholiaste anonyme. Si donc, avec G. Schiaparelli, on fait d’Héraclide un précurseur de Copernic, ce ne sera pas en vertu de la grave autorité de Posidonius, mais sur la foi de cet annotateur.

Or ce scholiaste était-il bien informé des choses de l’Astrono-

  1. G. Schiaparelli, Origine del sistema planetario eliocentrico presso i Greci, VI, 40 [Memorie del R Instituto Lombardo di Scienze e Lettere ; classe di Scienze matematiche e naturali ; vol. XVIII (série III, vol. IX), 1898, pp. 87-88].
  2. Paul Tannery, Sur Héraclide du Pont (Revue des Études grecques, t. XII. 1899, p. 305).