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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE

Les autres supposent que nos idées de temps et d’espace reproduisent fidèlement en nous des choses qui existent réellement hors de nous.

En la réalité extérieure à notre pensée il y a, selon ces derniers philosophes, un espace illimité qu’ils nomment l’espace absolu. Les corps que nous percevons occupent certaines portions de cet espace, et ces portions d’espace sont les lieux de ces corps. La réalité de l’espace n’est pas liée à la réalité des corps qui y trouvent leur lieu : si un corps était anéanti, le lieu qu’il occupe demeurerait vide ; tous les corps étaient anéantis, l’espace absolu n’en subsisterait pas moins, mais il serait l’espace vide.

De même qu’il existe un espace absolu, il existe utemps absolu dont la réalité ne dépend ni de notre pensée ni de I existence des corps et de leurs changements.

Aux divers instants d’une même durée absolue, un corps peut demeurer au même lieu de l’espace absolu ; ce corps est alors en repos absolu ; un corps peut, au contraire, occuper des lieux différents à des instants différents ; il est alors en mouvement absolu.

Parmi les philosophes qui s’accordent à regarder comme vraies ces propositions, on peut encore distinguer les adeptes de diverses écoles, ainsi que nous aurons occasion de le noter. Mais on peut remarquer que les tenants de l’espace absolu et du mouvement absolu se sont surtout recrutés parmi les philosophes qui étaient en même temps géomètres.

Ces philosophes-géomètres ont-ils été victimes d’une illusion ? Ont-ils imprudemment cédé au désir de réaliser hors d’eux-mêmes les abstractions auxquelles se complaisait leur raison ? Nous ne discuterons pas ici cette question, car nous ne voulons pas faire œuvre de philosophe, mais d’historien. Or, pour que l’historien accorde de l’importance, en son exposition, à la doctrine de l’espace absolu et du mouvement absolu, il lui suffit qu’aux époques les plus diverses, de très grands esprits l’aient professée.


Cette doctrine, nous la rencontrons de bonne heure en la Philosophie grecque ; c’est elle qu’admettaient les anciens Atomistes, Leucippe et Démocrite, qui la tenaient peut-être des Pythagoriciens.

À la base de leur Métaphysique, Leucippe et Démocrite plaçaient cet axiome : Le non-être existe exactement au même titre que l’être. Le non-être, ils l’identifiaient à l’espace vide, tandis que les corps représentaient, pour eux, l’être.