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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE

Ce corps particulier[1] que nous voyons et touchons, qui a maintenant l’aspect de l’eau, mais qui, tout à l’heure, sera de la terre ou de l’air, est-il la seule eau qui existe, ou bien au contraire, existe-t-il une eau en soi, de telle sorte que ce mot : eau désigne une réalité ? « Y a-t-il quelque chose qui soit le feu lui-même et par soi (ἆρ ἔστι τι πῦρ αὐτὸ ἐφ’ ἑαυτοῦ) ? Toutes ces substances, dont nous parlons toujours comme si elles étaient en soi et par soi, sont-elles ainsi en réalité ? Ou bien, au contraire, les corps que nous voyons de nos yeux, que nous percevons par l’intermédiaire de notre corps, sont-ils les seules choses qui aient une telle réalité ? Faut-il penser que hors d’eux, rien n’existe d’aucune manière ? Est-ce à tort que nous disons de chacun d’eux qu’il est d’une certaine espèce (εἶδος) que l’esprit conçoit ? Cette espèce n’est-elle rien d’autre qu’un mot ? »

On a dit, parfois, que le problème du Réalisme et du Nominalisme avait été posé par Porphyre ; il est difficile, cependant, d’en imaginer un énoncé plus net et plus formel que celui que nous venons d’entendre de la bouche de Platon.

La réponse[2], d’ailleurs, ne sera pas moins nette que la question : « L’espèce existe, se comportant toujours de la même manière, exempte de toute génération et de toute corruption, absolument incapable de recevoir en elle aucune autre espèce, incapable aussi de pénétrer en une espèce différente ; elle ne peut être perçue ni par les yeux ni par aucun sens ; elle n’est accessible qu’à la contemplation intellectuelle. Il existe aussi une seconde chose que l’on désigne par le même nom, qui est faite à la ressemblance de l’εἶδος ; cette chose tombe sous les sens, elle a commencement, elle est sans cesse en mouvement, elle vient occuper un certain lieu, puis elle en est chassée. »

Ce mouvement continuel des choses concrètes qui sont susceptibles de génération et de corruption suppose une troisième réalité, l’espace, capable de fournir à ces choses le lieu que le mouvement leur fait occuper puis délaisser. Voyons donc ce que Platon enseignait au sujet de cet espace, et comparons-le à ce que prédécesseurs avaient dit du même sujet.

  1. Platon, Timée, 51 ; éd. cit., p, 219.
  2. Platon, Timée, 52 ; éd. cit., p, 219.