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LA DYNAMIQUE DES HELLÈNES APRÈS ARISTOTE


chassé ne contribue absolument pas à ce mouvement ou n’y contribue que fort peu.

» Mais si c’est de la sorte que sont mus les corps animés de mouvement violent, il est, dès lors, évident que si on lançait, dans le vide, une flèche ou une pierre, par violence ou contre nature, ce corps y serait transporté beaucoup mieux [que dans le plein] ; il n’aurait aucun besoin que quelque chose d’extérieur à lui-même le poussât.

» Cette raison — je parle de celle-ci, qu’une certaine énergie motrice incorporelle est cédée au projectile par l’instrument de jet (ὅτι ἐνέργειά τις ἀσώματος ϰινὴτιϰη ἐνδίδοται ὑπὸ τοῦ ῥίπτουντος τῷ ῥιπτουμένῳ), et que c’est là le motif pour lequel il faut que l’instrument balistique soit appliqué au projectile — cette raison, dis-je, ne deviendra certes pas plus difficile à recevoir si nous appelons en témoignage, en sa faveur, cette proposition évidente : Certaines énergies sont envoyées aux yeux par les choses visibles, comme l’enseigne Aristote. Nous voyons, en effet, que certaines énergies sont émises, sous forme incorporelle, par les couleurs, et feignent les corps opaques (στερεά = solides) qui leur sont présentés ; ainsi en est-il quand un rayon de soleil rencontre des couleurs, comme on le peut voir clairement lorsqu’un rayon solaire passe au travers de vitres colorées ; que ce rayon, qui a traversé la vitre [colorée], tombe, en effet, sur un corps opaque, et celui-ci se teint d’une couleur semblable à celle qui a été traversée par le rayon. Il est donc évident que des corps peuvent, en d’autres corps, engendrer, sous forme incorporelle, certaines énergies.

» Quoi donc ? Si le projectile est une pierre ou un trait, si, d’autre part, le moteur, ce qui produit la violence, c’est l’homme, qu’est-ce qui empêche qu’un corps ne soit lancé, alors même que le milieu serait vide ? Maintenant, en effet, alors que le milieu est plein, qu’il met obstacle aux mouvements des corps, que les corps en mouvement sont obligés de diviser ce milieu, ces corps sont, tout de même, mis en mouvement. Si donc le milieu était vide, qu’est-ce qui empêcherait de lancer une flèche, une pierre ou quelque autre chose, du moment qu’il y a l’instrument de jet, le projectile et l’espace (ὄντος ϰαὶ τοῦ ῥιπτοῦντος ϰαὶ τοῦ ῥιπτουμένου ϰαὶ τῆς χώρας) ? »

Ce n’est pas l’air qui meut le projectile ; il n’est, au contraire, qu’un obstacle à son mouvement ; le projectile irait plus vite et plus loin si l’air ne lui résistait pas ; c’est le langage que vient de nous faire entendre Jean d’Alexandrie ; c’est le langage même du sens commun.