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LA DYNAMIQUE DES HELLÈNES APRÈS ARISTOTE


pas, par la propriété qu’on leur accorde, le privilège exclusif des êtres animés ?

Si l’on veut renoncer au principe selon lequel le mouvement de tout corps inanimé requiert l’action, incessamment présente, d’un moteur étranger ; si l’on veut qu’un moteur puisse communiquer au mobile une certaine puissance motrice (ϰινητιϰὴ δύναμις) par laquelle il continuera, après l’arrêt ou l’éloignement du moteur, non seulement à se mouvoir lui-même, mais encore à mouvoir d’autre corps, pourquoi réserver à l’air, à l’eau, aux autres fluides, l’aptitude à recevoir une telle puissance ? Pourquoi refuser cette aptitude au projectile ? Qu’on la lui accorde, et toute difficulté disparaît.

Cette proposition, que le sens commun semble dicter, il ne s’est pas trouvé dans l’École péripatéticienne un seul homme, je ne dis pas pour l’admettre, mais simplement pour l’énoncer : exemple bien étrange de l’aveuglement que l’esprit de secte peut produire !

S’il est peut-être possible d’excuser Aristote, Alexandre, Thémistius en supposant que la véritable doctrine ne leur avait jamais été présentée, que les illogismes de leur théorie ne leur avaient pas été signalés, cette excuse n’est plus de mise à l’égard de Simplicius ; en effet, avant que celui-ci ne composât la rédaction de ses commentaires, la vérité avait été proclamée, et par un auteur qu’il connaissait bien, encore qu’il ne l’aimât guère ; nous voulons parler de Jean Philopon.

Jean Philopon commence par soumettre la théorie de l’ἀντιπερίστασις à une discussion longue et minutieuse[1] dans laquelle il montre tout ce que cette théorie contient d’inadmissible ; puis il continue en ces termes :

« Cela dit du raisonnement qui déclare que les corps unis de mouvement violent sont unis par le déplacement tourbillonnaire (ἀντιπερίστασις) de l’air, venons à un autre raisonnement. Celui-ci regarde comme plus vraisemblable cette supposition : L’air, mis en branle dès le début, en tire un principe de mouvement ; il est mû d’un mouvement plus vif que celui qui, par la nature entraîne le projectile ; il chasse ainsi ce projectile en l’accompagnant, jusqu’au moment où la puissance motrice (ϰινητιϰὴ δύναμις) qui lui a été infusée vient à s’affaiblir. Au fond, c’est dire

  1. Ioannis Philoponi In Aristotelis Physicorum libros quinque posteriores commentaria, Edidit Hieronymus Vitelli. Berolini, MDCCCLXXXVIII. Lib, IV, cap. VIII, pp. 639-642 ; éd. 1542, fol. 24, coll. b, c, d ; éd. 1588, pp, 191, Coll. a et b, et p. 192, col. a. Les traductions latines de ces deux éditions sont des paraphrases très peu fidèles.