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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE


des corps qui se poussent et se chassent l’un l’autre, il y a échange de lieux. Le corps qui en chasse un autre demeure au lieu du corps qu’il a chassé ; celui-ci, à son tour, chasse le corps qui lui est contigu ; cela se répète autant de fois qu’il y a de corps, jusqu’à ce que le dernier d’entre eux se trouve au lieu du corps qui a été le premier à chasser les autres ».

Cette ἀντιπερίστασις, c’est donc le mouvement tourbillonnaire tel que Platon le décrivait au Timée, tel que Descartes l’introduira dans toute sa Physique. Le projectile chasse l’air qui se trouve immédiatement devant lui ; cette masse d’air en chasse une autre, et il en est ainsi jusqu’à ce que la poussée atteigne les parties du fluide qui viennent remplir, en arrière du projectile, l’espace délaissé par celui-ci.

Ce mouvement tourbillonnaire, Aristote ne le croit pas capable d’expliquer la marche du projectile[1]. L’ἀντιπερίστασις, en effet, exige que chacun des corps pris dans le tourbillon soit à la fois moteur à l’égard de celui qui se trouve devant lui et chose mue à l’égard de celui qui est derrière ; un tel mouvement ne peut soutenir lui-même ; tout le cycle de corps doit demeurer en repos : « Ἡ δ’ ἀντιπερίστασις ἅμα πάντα ϰινεῖσθαι ποιεῖ ϰαὶ ϰινεῖν, ὡστε ϰαὶ παύεσθαι. »

Il reste donc que la seule cause qui puisse entretenir la course du projectile, c’est le mouvement qui, de proche en proche, à partir de la machine balistique, se propage d’une couche d’air à une autre. C’est par une telle transmission de mouvement qu’au début de son Acoustique (Περὶ ἀϰουστῶν), Aristote explique fort justement la propagation du son. En même temps qu’elle se transmet dans l’air, l’onde que l’appareil projetant a engendrée entraîne le projectile auquel l’air est adhérent.

Telle est, au sujet du mouvement des projectiles, l’étrange théorie d’Aristote.


IV
LE MOUVEMENT DES PROJECTILES. — LA THÉORIE D’ARISTOTE
ET L’ÉCOLE PÉRIPATÉTICIENNE

Cette théorie, qui nous paraît un défi au bon sens, a sans doute été acceptée sans contestation par tout le Péripatétisme. De cette adhésion unanime, nous pouvons citer maint témoignage.

  1. Aristote, Physique, livre VIII, ch. X (Aristotelis Opera, éd. Didot, t. II, p. 366 ; éd. Bekker, vol. I, p. 267, col. a).