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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE


étendue ; donc, dans le mouvement de ce corps, chacune de ses parties possède une part de la puissance qui le meut, correspondant à son propre poids, et il n’est pas soumis tout entier à une puissance unique. »

Si cette opinion était exacte, ce n’est pas seulement dans l’air ou dans un milieu résistant, c’est aussi dans le vide qu’une sphère tomberait plus vite qu’un disque plat de même matière et de même masse.

Tel est le corollaire erroné auquel Héron se trouvait conduit par l’emploi de cet axiome[1] : « Lorsqu’on réunit des choses de même espèce, la puissance en est augmentée ; elle est affaiblie lorsqu’on les sépare. — Συνιόντα μὲν τὰ ὁμοειδῆ δυναμιϰώτερα γίνεται, διαιρούμενα δὲ ἀσθενέστερα. »

Cet axiome était un des principes favoris du Néo-platonisme. Plotin le formule expressément : « Plus une forme, dit-il[2], va se diffusant au sein de la matière, plus elle devient faible en comparaison de celle qui demeure dans l’unité. En effet, toute chose qui se dilate éprouve, en elle-même, une atténuation — Καὶ γὰρ ὅσῳ ἰόν εἰς τὴν ὕλην ἐϰτέταται, τόπῳ ἀσθενέστερον τοῦ ἐν ἑνὶ μένοντος. Ἀφίσταται γὰρ ἑαυτοῦ παν διϊστάμενον ». Et l’auteur affirme que cette proposition s’applique aux choses les plus diverses, telles que la force, la chaleur etc.

Proclus répète l’enseignement de Plotin :

« Toute puissance, dit-il[3], lorsqu’elle est plus complètement réunie, a, par là-même, plus d’infinitude qu’elle n’en a lorsqu’elle est subdivisée. — Πᾶσα δύναμις, ἑνιϰωτέρα οὖσα τῆς πληθυνομένης ἀπειροτερα. — Si le premier degré d’infinitude, en effet, appartient à ce qui est plus voisin de l’Un, celle-là, parmi les puissances, qui est, de plus près, apparentée à l’Un sera infinie à un plus haut degré que celle qui en est plus lointaine ; or, en se subdivisant, une puissance perd sa conformité avec l’Un (τὸ ἑνοειδές) ; et c’est en demeurant dans cette conformité, en restant cohérente par l’absence de tout partage, qu’elle surpassait en force les autres puissances.

» Même au sein des choses qui ont des parties, les puissances, lorsqu’on les rassemble, prennent plus d’union [et plus de force] ; lorsqu’on les disjoint, au contraire, elles se disséminent et s’affai-

  1. Jean Philopon, loc. cit., p. 420 de l’édition grecque de 1887.
  2. Plotini Enneadis Vœ lib. IV, cap. I éd. Firmin-Didot, Parisiis, MDCCCLV, p. 349.
  3. Procli Successoris Platonici Institutio theologica. Edidit Fridericus Crenzer, Francofurti ad Mænum MDCXXII, XCV p. 141 ; Parisiis, MDCCCLV, XCV, p. LXXXI. XCV, p. LXXXI.