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LA DYNAMIQUE DES HELLÈNES APRÈS ARISTOTE


De même, si vous divisez un volume qui pèse deux livres en deux parties égales, chacune des deux parties n’aura pas un poids d’une livre, mais un poids moindre.

» Lors donc qu’on réunit ensemble des choses semblables, elles deviennent plus puissantes ; elles s’affaiblissent si on les sépare. Ainsi en est-il pour les mouvements. Plus un poids est ramassé, plus vite il se meut. Cinq pierres quelconques, distinctes les unes des autres, même si on les juxtapose, ne feront pas ainsi un mouvement plus rapide qu’une d’entre elles ; si on les ramasse, au contraire, et les réunit en une seule, celle-ci se mouvra beaucoup plus vite. Il en est de même des corps légers. »

Il convient toutefois d’être prudent dans l’interprétation de ce texte.

Il se trouve dans la discusion du problème de l’infini, dans une partie, donc, où il n’est aucunement question de mouvement dans le vide. Si Philopon restreint son affirmation au mouvement dans un milieu plein, elle exprime une grande vérité, que Giambattista Benedetti et même Galilée, dans ses premières œuvres, auront le tort de méconnaître. L’aurait-il maintenue même pour le mouvement dans le vide ? C’eût été rejeter la notion de poids spécifique qui, certainement, était, de son temps, tout à fait familière à la Science grecque, et que définissaient nettement de petits traités élémentaires, comme le Livre des poids attribué à Euclide. Rien ne nous autorise à prêter à Jean le Grammairien une telle méconnaissance de la vérité, alors que nous l’avons vu jusqu’ici, alors que nous le verrons encore juger d’une manière si perspicace des questions de Mécanique.

En soutenant, toutefois, cette opinion erronée, il n’eût fait que suivre l’exemple d’un mécanicien célèbre, de Héron d’Alexandrie. Voici, en effet, en quels termes formels s’exprime celui-ci, dans une des questions qui figurent au second livre de ses Mécaniques[1] :

« Question 5. Pourquoi le même poids, lorsqu’il est plat, tombe-t-il à terre plus lentement que lorsqu’il est sphérique ? — Ce n’est pas, comme plusieurs le pensent, parce que le corps étendu oppose, par sa surface, une plus grande résistance à l’air, au lieu que le corps sphérique, ayant toutes ses parties rentrées les unes dans les autres, n’oppose à l’air qu’une faible résistance ; c’est parce que le poids qui tombe à plat est composé de parties nombreuses dont chacune reçoit de la puissance en proportion de son

  1.  Les Mécaniques ou l’Élévateur de Héron d’Alexandrie ; trad. Carra de Vaux. p. 146 du tirage à part.