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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE


cela est contraire à l’évidence. Évidemment, en effet, des corps inégaux [en poids], unis au travers d’un même milieu, se meuvent inégalement vite : de même que les causes motrices qui sont en eux sont différentes, il est nécessaire aussi qu’elles produisent des activités (ἐνεργείαι) différentes ; et cela, lors même que les corps qui servent de support (ὑποϰείμενα) à ces causes ne seraient pas mûs au travers d’un corps, mais dans le vide…

» Puis donc que la pesanteur est la cause active du mouvement vers le bas, comme il semble à Aristote lui-même, lors même, dis-je, que l’espace au travers duquel elle transporte le mobile serait le vide, dès là que la cause active du mouvement sera différente, étant donné qu’il n’y aurait aucune résistance, de toute nécessité il se produira, même dans le vide, un mouvement différent ; ainsi, lors même que le vide existerait, l’inégalité des mouvements ne serait pas supprimée.

» Supposons, en effet, que des corps inégaux, lorsqu’ils ne se meuvent pas dans un milieu, mais dans le vide, ne possèdent pas, par eux-mêmes, la cause qui rend leurs mouvements inégaux. Lorsqu’un poids d’un talent et un poids d’une livre tomberont au travers de l’air, pourquoi donc, alors, le poids d’un talent tombera-t-il plus vite ? C’est, dans les deux cas, un seul et même air ; il doit servir de cause aux mêmes effets,

» Il est maintenant évident que les poids des divers corps sont naturellement disposés, les uns mieux, les autres moins bien, à les porter vers le bas ; par là-même, ils déterminent la différence qui se rencontre entre les mouvements inégaux ; et celui qui est le plus puissant à porter vers le bas (μᾶλλόν ϰατώφορον) est aussi celui qui divise le mieux le milieu… Ce n’est pas parce qu’il sépare le mieux le milieu que le plus grand poids est plus puissant à porter en bas ; c’est parce qu’il est plus puissant à porter en bas qu’il sépare mieux…

» Puis donc que les corps possèdent, par eux-mêmes, une force plus grande ou moindre pour porter en bas, alors même qu’ils se mouvront dans le vide, ils garderont évidemment en eux cette même différence ; celui qui est plus pesant parcourra un même espace vide en un temps moindre, et celui qui est de moindre poids en un temps plus considérable, non qu’ils rencontrent une résistance moindre ou plus grande, mais parce qu’ils sont plus ou moins puissants pour porter en bas, et cela dans le rapport de leurs poids naturels. »

Simplicius, peu disposé, en général, à suivre l’opinion du Grammairien, a reconnu, cependant, la valeur de cette réfutation de